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Exhumation, tests ADN : la folle enquête sur le « martyr inconnu » de la Doua

Le cercueil d’un homme « inconnu » a été déterré, mardi 28 avril, au cimetière militaire de la Doua, à Villeurbanne. Une exhumation rarissime réalisée pour identifier la personne après enquête, avec vérification grâce à des tests ADN.

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Tombe du martyr inconnu

Celui que l’on a nommé le « martyr inconnu » va, 70 ans après sa mort, peut-être enfin retrouver son identité. C’est le résultat d’un colossal travail d’enquête mené par un policier devenu historien.

Carré E, rang 5, tombe n° 6. C’est au pied de cette croix blanche du cimetière militaire de la Doua qu’une exhumation a eu lieu le mardi 28 avril 2015.

Tombe du martyr inconnu
Tombe du « martyr inconnu » (au centre) à la Nécropole nationale de la Doua : carré E, rang 5, tombe n°6. ©Léa Ménard/Rue89 Lyon

Il s’agit d’un anonyme parmi d’autres. Ici, on compte environ une centaine de croix blanches avec pour seule mention « inconnu » sur les 6000 tombes que compte le cimetière militaire de la Doua, inauguré en 1954. Il rassemble des soldats et Résistants morts au cours des deux guerres mondiales.

Philippe Rivé, directeur départemental de l’Office National des Anciens Combattants et Victimes de guerre (ONAC) du Rhône explique :

« À l’époque les Allemands avaient l’objectif de faire disparaître l’identité et tout vestige de la personne. Ça faisait partie du processus d’intimidation. »

Lors de l’exhumation, il n’a pas été possible d’identifier la personne, a précisé le médecin légiste Alain Miras. Il avait déjà participé à l’une des très rares exhumations, celle du soldat Gordon. Ce canadien décédé au front en août 1944 et jusque là enterré dans un cimetière de la Manche, a pu être identifié 69 ans après sa mort, en février 2014, grâce à des tests ADN.

A la Doua, ce mardi, c’est à Éric Amouraben, policier de profession, que l’on doit cette nouvelle exhumation d’un inconnu. Celui-ci en a l’intime conviction : l’homme décédé le 15 juin 1944 et enterré à Villeurbanne s’appelle Georges Coran et serait un Résistant.

Policier et historien 

Éric Amouraben est directeur départemental adjoint du Souvenir Français, une association de mémoire pour les soldats morts au front, qui entretient les tombes et monuments commémoratifs. À 44 ans, ce policier à la sûreté départementale des Pyrénées-Atlantiques est passionné par son passé familial.

Éric Amouraben
Éric Amouraben devant la tombe du « martyr inconnu » à la Doua. ©Léa Ménard/Rue89 Lyon

Le policier s’intéresse aux personnes accompagnant son grand-père dans la mort en juin 1944. Soit cinq Résistants fusillés dans le bois de Lanot, sur la commune d’Idron (Pyrénées-Atlantiques) le 15 juin 1944.

Pierre Cotonat (le grand-père paternel d’Éric Amouraben), Michel Loustau et Louis Mourlhon étaient policiers à la brigade de Pau. Ils ont été arrêtés dans le maquis de Rebenacq (à environ 20 km au sud de Pau). René Amiel était un résistant appartenant au Corps Franc Pommiès, arrêté à Sevignacq-Meyracq (à environ 30 km au sud de Pau).

Une autre personne est retrouvée mais reste non identifiée. Les hypothèses évoquent un réfugié espagnol, ce qui expliquerait que personne n’ait réclamé son corps.

Mais Éric Amouraben n’en reste pas là. En 2009, il découvre aux archives départementales le procès-verbal d’exhumation des corps des cinq morts pour la France. Il s’interroge alors sur la description de l’inconnu.

Ce dernier est décrit comme le « fusillé d’Idron numéro 5 ». La description est la suivante (voir photo) :

« Taille 1m75, cheveux châtain moyen, corpulence moyenne, pantalon bleu de travail, chemise blanche rayée à gros boutons, pull-over blanc, veston foncé, marque du veston « Tailleur civil et Militaire SAINT BLANCARD – Aire sur Adour », ceinture en caoutchouc, chausse de sandales… une alliance »

Martyr inconnu 1
Procès verbal (29/08/1944) – Liste des cadavres exhumés sur le territoire de la commune Idron ©Rue89 Lyon

C’est à ce moment que l’enquête du policier débute réellement.

« Pour la première fois je vois quelque chose qui est un peu plus précis que ce que j’avais, raconte-t-il. On n’est plus sur les « on dit » du soldat espagnol d’un maquis. »

« Tirer le fil de la pelote »

Le policier remarque un détail, le veston que porte l’inconnu. Qu’a-t-il donc pu se passer à Aire-sur-l’Adour ? Début 2010, ses recherches commencent à porter leurs fruits. Éric Amouraben découvre un document aux archives départementales des Pyrénées-Atlantiques. Il s’agit d’une lettre écrite par une certaine Adèle Pabon-Labeyrie le 26 août 1944, quelques jours après la libération.

« Elle raconte qu’un membre de sa famille, elle ne dit pas qui exactement, a été arrêté à Aire-sur-l’Adour le 14 juin 1944 par des Allemands qui l’ont interrogé le 15 juin et que, depuis, elle est sans nouvelle. »

Éric Amouraben établit des connexions.

« J’ai commencé à tirer un peu plus le fil de la pelote et petit à petit j’ai découvert qui était le membre de la famille dont elle parlait. »

Adèle Pabon-Labeyrie est décédée dans les années 1980, et ses enfants dans les années 1970. Finalement, l’enquêteur contacte le petit-fils de cette dame, Lionel Labeyrie. Celui-ci n’a pas connaissance du courrier et n’a pas d’idée de qui pourrait être ce « membre de la famille » dont parle sa grand-mère dans une lettre.

« Tout ça m’a réveillé la nuit »

Éric Amouraben n’abandonne pas. En 2012, à la lecture d’un livre sur la Résistance, il découvre des extraits des mémoires du maire d’Aire-sur-l’Adour de l’époque, René Méricam.

« Je découvre qu’il y a eu une arrestation de deux ouvriers agricoles Gaston Mouches et Georges Coran, ce fameux 14 juin 1944, qui était un mercredi. Le maire d’Aire-sur-l’Adour dit à l’époque que Gaston Mouches a été libéré deux, trois jours après par les Allemands. Mais il ajoute que pour Georges Coran, on n’a jamais su ce qu’il était devenu. »

Un nouvelle piste pour le policier mais lorsqu’il recontacte le petit-fils d’Adèle Pabon-Labeyrie, Lionel Labeyrie n’en sait pas plus. Une idée vague, sans plus.

« Il se trouve que tout cela m’a travaillé, sans que je m’en aperçoive. Je me souviens que ça m’a réveillé la nuit. Puis je me suis rappelé que sur internet j’ai lu une biographie qui avait été écrite sur une dame très connue dans les Landes, Adèle Pabon-Laberry, qui avait été mariée à Albert Laberry. Elle était veuve à cette époque-là, cousin du « grand » Joseph Coran, et là je me dis voilà j’ai un lien familial. »

Le policier commence à en savoir plus sur ce Georges Coran. Son frère, Joseph, était un écarteur de course landaise très connu, et Georges était teneur de corde. Lionel Labeyrie trouve des papiers le concernant, dont une carte d’identité professionnelle.

« Il avait un petit bar au départ à Bordeaux avec son épouse au début de l’occupation avant de revenir à Aire-sur-l’Adour. Et là j’ai découvert la première photo de George Coran. J’avais mon lien familial, j’avais le fait qu’il soit arrêté comme ouvrier agricole… ça c’est arrivé en 2012. »

Une année de recueil de témoignages 

Éric Amouraben passe l’année 2013 à conforter son intuition en cherchant des témoignages de membres de la famille Coran et de personnes qui l’ont connu.

« Il y avait une nièce de Georges Coran, qui est morte, et un neveu toujours en vie. J’ai pu remonter au petit-fils de Georges Coran qui était à Bordeaux, grâce à Lionel Labeyrie. »

L’enquêteur commence alors les démarches pour identifier « un inconnu mort pour la France » auprès de l’Office National des Anciens Combattants et Victimes de Guerre (ONAC). Il a sa réponse : celui-ci est enterré à la Nécropole de la Doua.

Il raconte son histoire à la presse locale (Sud-Ouest notamment). L’anonyme est alors surnommé le « martyr inconnu ».

Interrogé par France 3 Rhône-Alpes, Philippe Rivé, directeur départemental de l’ONAC, explique pourquoi cet homme a été transféré du cimetière municipal de Pau au cimetière militaire de la Doua. C’est en effet l’endroit où de nombreux résistants et combattants ont été transférés à partir de 1954.

Exhumation et tests ADN

Aujourd’hui, il ne manque plus que la confirmation des tests ADN pour qu’Éric Amouraben puisse conclure son enquête avec certitude. Il lui faudra encore patienter quelques mois avant d’espérer obtenir les résultats, qui devrait lui coûter « grosso modo 250 euros par prélèvement », selon Alain Miras, le médecin légiste.

Au total, la somme des tests devrait atteindre entre 1 000 euros et 1 500 euros. Aidé par le Souvenir Français, Éric Amouraben ne s’en soucie pas vraiment.

Le policier a autre chose en tête, un détail important a retenu son attention après l’exhumation. Un bridge et des dents en métal placées dans la mâchoire supérieure du corps, ont été retrouvés pendant les prélèvements pour les tests ADN. Un élément qui avait été décrit dans l’un des témoignages retrouvés par le policier.

Un espoir de plus pour Éric Amouraben et Patrick Milette, le petit-fils de Georges Coran.

> En partant des éléments de l’enquête d’Éric Amouraben, nous avons retracé la fin de vie du « martyr inconnu » :

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