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Hébergement à Lyon : le détricotage du droit au logement

[Explicateur] Comme chaque année à Lyon, la fin du plan froid suscite l’inquiétude. Les travailleurs sociaux ont fait grève mardi 24 mars et les profs et parents d’élèves mobilisés autour des enfants SDF étaient environ 350 à manifester ce samedi 26.

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SDF-mere-enfant-fin-plan-froid-2© Pierre Maier : Rue89Lyon

Le 31 mars, jour de la fin de la trêve hivernale, un nouveau rassemblement, cette fois-ci à l’initiative des associations, s’est tenu devant la mairie de Lyon.

Et ce vendredi 10 avril, rebelote, le collectif  « Jamais sans toit » et les travailleurs sociaux appellent à un rassemblement devant la Direction départementale de la cohésion sociale à 17h30.

Tous demandent l’application du « droit au logement » qui est censée obliger les services de l’Etat à héberger tout SDF qui le demande. Mais dans les grandes agglomérations, où les dispositifs d’accueil d’urgence sont saturés, les préfectures se mettent hors à la loi.

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Le centre d’hébergement de Lahso à Villeurbanne ouvert pour le plan froid 2013/2014. © Pierre Maier/Rue89Lyon

Née des campements des Enfants de Don Quichotte de l’hiver 2006/2007, la loi sur le Droit opposable au logement (Dalo) autrement appelé Droit à hébergement opposable (Daho) n’a jamais été complément appliquée dans les grandes agglomérations françaises.
L’article 4 de la loi Dalo, repris par la loi de Mobilisation pour le Logement et de Lutte contre l’Exclusion (dite loi MOLLE) indique :

« Toute personne sans abri […] a accès […] à un dispositif d’hébergement d’urgence » « et [peut] y demeurer, dès lors qu’elle le souhaite, jusqu’à ce qu’une orientation lui soit proposée ».

Aujourd’hui le fossé se creuse un peu plus entre la loi et son application.

  • En janvier 2010, lors de la précédente et première grève des professionnels de l’urgence sociale, il y avait une centaine de personnes sans solution l’hiver.
  • En mars 2015, on compte 1 500 personnes qui appellent le 115 et ne trouvent pas de places d’hébergement.

Et comme chaque année, la fin de la trêve hivernale et du plan froid (décalée du 31 mars au 15 avril) fait craindre une mise à la rue massive. Des personnes qui viendront s’ajouter aux 1 500 « sans solution ».

Et pourtant, les efforts de la préfecture du Rhône, compétente en la matière, sont en augmentation constante. En 2014, 39 millions d’euros ont été dépensés. Ce qui représente notamment 3 230 places d’hébergement. Et pour le dispositif hivernal 2014/2015, rappelle 955 places temporaires ont été ouvertes dans le Rhône.

Mais ça ne suffit pas. Les besoins sont également en augmentation constante. La préfecture « priorise » donc les publics en fonction de leur « vulnérabilité ». De leur côté, les tribunaux accompagnent cette pratique de la préfecture.

1/ Des critères de plus en plus restrictifs pour accéder à un toit

Avec la loi Dalo, l’accueil des SDF dans des centres d’hébergement est censé être « inconditionnel ». C’est une prérogative qui figure sur le site du ministère du logement. Toute personne doit être accueillie même si elle est en situation irrégulière ou en bonne santé.

Dans les faits, les quelque 3 230 places pérennes d’hébergement à Lyon et Villefranche-sur-Saône sont saturées. L’Etat opère alors une sélection quand de nouvelles places se libèrent.

Au début du plan froid, lorsque plusieurs centaines de nouvelles places ont été progressivement ouvertes, des « commissions urgence » se sont réunies à la Maison de la veille sociale (MVS), sous l’égide de la préfecture, pour sélectionner les sans-abri qui auraient la chance d’entrer dans le dispositif hivernal.

Le directeur de l’association Alynea, l’une des principales associations qui gère des centres d’hébergement pointe le glissement des critères :

« Auparavant, on opérait une sélection entre des personnes en bonne santé et ceux qui ne l’étaient pas. Maintenant, on demande aux travailleurs sociaux de faire un tri parmi des situations médicales déjà sensibles. Or nous ne savons pas dire si un diabète aiguë est plus important qu’un cancer. Ce n’est pas notre métier ».

Jérôme Colrat voit dans cette évolution un changement d’orientation de la politique en matière d’hébergement d’urgence, « du social vers l’humanitaire ».

Ce basculement est l’une des causes qui explique le ras-le-bol et le déclenchement d’une nouvelle grève chez les travailleurs sociaux de l’urgence sociale. Virginie, porte-parole du réseau, explique :

« Ce sont les situations les plus préoccupantes qui remontent à la MVS. Par conséquent, un homme seul en bonne santé n’a aucune chance d’avoir une place. Or nous savons que la rue fait rapidement du mal aux personnes SDF. Et dans le même temps, nous devons choisir entre un homme unijambiste de 85 ans et une femme seule avec un enfant de trois mois. La loi doit être pour tout le monde ».

La directrice Rhône-Alpes de la Fondation Abbé Pierre, Véronique Gilet, tire la conclusion que de lieu d’alerte, la « commission urgence » devient progressivement « un lieu de priorisation des situations » :

« Ces priorités ne sont pas prévues par la loi (code d’action sociale et des familles). La pratique prévaut donc sur le droit. »

2/ La remise à la rue de SDF contre le principe de continuité

Comme chaque année, l’Etat va remettre à la rue des SDF hébergés durant l’hiver. Le gouvernement annonce pourtant l’inverse chaque année, au mois de mars.
D’abord Cécile Duflot, alors ministre du logement, qui annonçait la fin de la « politique du thermomètre ».
Et en 2015, c’est autour de l’actuelle ministre du logement, Sylvia Pinel, d’annoncer 2 000 places d’hébergement pour éviter les remises à la rue à la fin de l’hiver :

« Toutes les familles se verront proposer des solutions d’hébergement ou de logement».

A Lyon, le nouveau préfet du Rhône, Michel Delpuech, a officialisé ce plan ministériel dans un communiqué le 10 avril. Ce sera 420 place supplémentaires.

« la Préfecture va créer et financer 300 places pérennes supplémentaires s’ajoutant aux 120 places de plus qui seront mises à disposition des plus fragiles par transformation de nuitées hôtelières. »

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Banderole des militants du droit au logement sur un le centre d’hébergement de Villeurbanne occupé pendant plusieurs après sa fermeture officielle en mars 2014. ©Rue89Lyon

A la mi-mars, il restait 857 personnes dans le dispositif hivernal.
On sait donc que l’effort annoncé par la ministre du logement ne sera pas suffisant. Comme il ne l’a pas été l’année dernière et les années précédentes.
500 personnes ne devraient pas être remises à la rue. Certaines devant rester à l’hôtel.

Elles ont été sélectionnées en fonction de critères de santé et s’il y avait un enfant ou non avec elles.
A ce propos, Véronique Gilet de la Fondation Abbé Pierre note un durcissement de cette nouvelle « priorisation » :

« En trois ans, entre l’hiver 2011/2012 et le volet hivernal actuel, la priorité d’hébergement en sortie de plan froid est passée des familles avec enfants de moins de dix ans aux familles avec enfants de moins de trois ans. »

Plus de 300 personnes seront vraisemblablement remises à la rue en violation du principe de continuité de l’hébergement qui stipule :

« Toute personne accueillie dans une structure d’hébergement d’urgence doit pouvoir y bénéficier d’un accompagnement personnalisé et y demeurer, dès lors qu’elle le souhaite, jusqu’à ce qu’une orientation lui soit proposée. Cette orientation est effectuée vers une structure d’hébergement stable ou de soins, ou vers un logement, adaptés à sa situation. »

Tribunal administratif de Lyon
Le tribunal administratif de Lyon ©Rue89Lyon

3/ Dalo : la préfecture condamnée n’exécute pas ses jugements

Lorsqu’on est à la rue, on peut obliger l’Etat à nous reloger. Jusque devant les tribunaux. C’est pour cela que le droit au logement est devenu « opposable » avec la loi Dalo qui a mis en place une procédure particulière.

Pour les SDF, il faut d’abord saisir une « commission de médiation » pour demander un hébergement.
A Lyon, la « commission de médiation » a étudié 826 dossiers en 2014. 32% de ménages requérants sont de nationalité française et seulement 6% sont sans aucunes ressources (48% allocataires RSA et 21% sont salariés).

408 ménages ont été reconnus « prioritaires urgence ». En 2008, au lancement du Dalo, ils n’étaient que 109 prioritaires urgence (sur 218).

En 2014, la préfecture n’a fait des propositions d’hébergement que pour la moitié des cas (202).
Les personnes restées sur le bord de la route pouvaient déposer un recours devant le tribunal administratif de Lyon. En 2014, 63 l’ont fait.

Et la jurisprudence est constante : systématiquement la préfecture est condamnée à reloger. Avec ou sans astreintes.

Mais l’effet de ces condamnations est limité : à part exception, la préfecture ne reloge pas.
Morad Zouine est l’un des avocats du barreau de Lyon qui défend le plus de personnes devant le juge administratif en charge du Dalo. Il constate cette tendance lourde :

« Parfois nous avons plusieurs condamnations, des liquidations d’astreinte, mais rien ne se passe. Et le préfet profite parfois du plan hivernal pour héberger temporairement des personnes bénéficiaires de Dalo. Ce que le Conseil d’Etat a déjà jugé comme ne satisfaisant pas à son obligation au titre du Dalo car il ne peut s’agir que d’une solution stable d’hébergement. Puis le préfet les remet à la rue à la fin mars ».

Morad Zouine donne l’exemple d’un de ses clients. Une astreinte de 65 750 euros a été « liquidée » qui correspond à deux ans d’attente. Ce qui signifie que le tribunal a enjoint la préfecture de verser cette somme au Fonds national d’accompagnement dans et vers le logement, censé aider les plus démuni à se loger. Mais le client de l’avocat n’est toujours pas relogé.

Lors des procès, la préfecture du Rhône se défend toujours de la même manière en rappelant la saturation actuelle de l’hébergement d’urgence :

« Cette saturation s’explique pour partie par l’afflux de personnes ne pouvant accéder à l’hébergement d’insertion ou au logement social, du fait notamment de leur situation administrative. Les déboutés du droit d’asile représentent environ un tiers des personnes hébergées. Par ailleurs, plus de 55% des personnes hébergées sont sans ressources. Tous ces éléments contribuent à l’absence de fluidité nécessaire dans le dispositif d’urgence, permettant de répondre à des demandes d’hébergement toujours plus nombreuses dans le département ».

En conclusion, la préfecture demande au juge de constater que dispositif est saturé et qu’elle n’a pas pu faire ce qu’elle devait. Mais le juge administratif condamne la préfecture qui a une obligation de résultat et non de moyens, comme le précise Véronique Gilet de la Fondation Abbé Pierre :

« La loi précise bien que le Dalo n’est pas un simple objectif mais une obligation et si elle laisse au Gouvernement le choix des moyens pour l’honorer, elle ne lui permet pas de s’y soustraire. Les recours Dalo devraient avoir pour conséquence la mobilisation, par les services de l’Etat, des moyens nécessaires pour remédier à de telles situations. Il n’en est rien et l’hébergement des prioritaires Dalo s’effectue dans les strictes limites de l’offre existante. »

4/ La Justice ouvre puis ferme la porte à l’urgence

Pour faire valoir le droit au logement, un autre chemin peut être emprunté. Surtout quand il y a urgence puisque la procédure Dalo est relativement longue (six semaines de délai d’instruction pour la commission; six semaines pour que la préfecture fasse une proposition). Il s’agit du référé-liberté.

Cela suppose qu’on prouve une « atteinte grave et manifestement illégale » au droit à l’hébergement d’urgence. Le recours est directement déposé devant le tribunal administratif (TA) qui juge en 48 heures.
Après l’arrêt « Fofana » du Conseil d’Etat du 10 février 2012, les portes se sont ouvertes et de très nombreux recours ont été déposés.
A Lyon, on se souvient surtout du jugement du tribunal administratif d’avril 2013 condamnant l’Etat à héberger une cinquantaine de Roms.

Mais la porte s’est rapidement refermée. On comptait 633 référés-liberté en 2013 mais plus que 298 en 2014 (chiffres TA de Lyon).

C’est tout le paradoxe de l’arrêt du Conseil d’Etat : à la fois il érige le droit à l’hébergement d’urgence en liberté fondamentale et en même temps il demande aux juges de tenir compte des moyens mis en œuvre par l’administration et de la situation personnelle du requérant.
La jurisprudence s’est donc durcie en considérant notamment que :

L’avocat Morad Zouine commente :

« Le tribunal administratif ne dénie pas le droit à l’hébergement d’urgence mais estime que la demande est trop forte et que la voie du référé-liberté devrait être réservée uniquement au cas les plus urgent. Par exemple, s’il s’agit d’adultes en bonne santé, le tribunal rejette par ordonnance. Ce qui est évidemment aberrant mais qui relève plus du « pragmatisme » que du droit. »

Avec la fin du plan froid, des référés-liberté seront peut-être déposés pour faire appliquer le principe de continuité de l’hébergement. Mais, comme le relève Morad Zouine, la jurisprudence est également restrictive sur ce principe :

« Le tribunal administratif de Lyon reste sur sa ligne de jurisprudence classique : pas de remise à la rue de ménages avec des enfants en très bas âge ou présence de lourdes pathologies. »

Contactés, les services de la préfecture du Rhône n’ont pas donné suite à nos demandes.

 > Article mis à jour le 31 mars à 11h avec les chiffres de la manifestation de « Jamais sans toit » et l’annonce du rassemblement des « Associations unies ».

> Mis à jour le 10 avril à 11h avec l’annonce d’un nouveau rassemblement du collectif « Jamais sans toit » puis à 14h30 avec le communiqué de la préfecture du Rhône du 10 avril sur la sortie du « plan de renfort hivernal ».


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