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Au lycée de Givors, avec les porteurs de la mémoire de la Shoah

Ce mardi 27 janvier, on commémorait les 70 ans de la libération du camp d’Auschwitz. Entre Paris et Lyon, les élèves du lycée Aragon de Givors faisaient partie des quelques lycéens désignés pour représenter les porteurs de la mémoire de la Shoah. C’est aussi la reconnaissance d’un travail pédagogique de dix ans mené par trois profs d’histoire.

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L'exposition sur la Shoah présentée en préfecture par des élèves du lycée de Givors. ©LB/Rue89Lyon

    L'exposition sur la Shoah présentée en préfecture par des élèves du lycée de Givors. ©LB/Rue89Lyon
L’exposition sur la Shoah présentée en préfecture par des élèves du lycée de Givors. ©LB/Rue89Lyon

Quand il a fallu imaginer l’anniversaire des 70 ans de la libération d’Auschwitz, le Mémorial National de la prison de Montluc n’a pas beaucoup hésité. C’était le lycée de Givors qui devait être à l’honneur. Cette commune du sud de l’agglomération lyonnaise n’est pourtant pas spécialement réputée pour son lycée général d’un millier d’élèves. On connaît davantage son échangeur autoroutier, son maire communiste et ses cités grises. Pour l’académie de Lyon, le lycée Aragon est pourtant devenu le pivot des commémorations.

A Paris, quatre élèves de première de Givors ont participé au « séminaire national exceptionnel » organisé par le Mémorial de la Shoah et le ministère de l’Education nationale. Avec d’autres lycéens (70 au total), ils ont notamment élaboré la réponse à la lettre de Simone Veil, sorte d’engagement solennel pour la perpétuation de la mémoire de la Shoah, alors que les derniers rescapés disparaissent.

A Lyon, à la préfecture du Rhône, les élèves d’une autre classe de première L ont présenté à la rectrice et aux représentants de l’Etat l’exposition «Les Juifs de France dans la Shoah». Les trois classes de première ont ensuite participé à la cérémonie commémorative de la libération des camps d’Auschwitz-Birkenau au mémorial de l’ancienne prison de Montluc où entre le 17 février 1943 et le 24 août 1944, ce sont plus de 9000 personnes, Juifs, Résistants et otages, qui sont enfermés à Montluc avant d’être déportés pour un grand nombre. Les lycéens de Givors formaient près du quart des 400 collégiens et lycéens présents.

La reconnaissance de dix ans de travail

Le lycée de Givors s’est imposé comme une évidence, comme l’explique Antoine Grande, en charge de la valorisation du Mémorial de Montluc :

« Je ne connais pas beaucoup d’autres lycées où la Shoah est enseignée avec une telle exigence pour faire comprendre toute la complexité de la déportation et de l’extermination ».

Depuis dix ans, deux profs d’histoire, Mylène Cabour et Yann Soulien, rejoints quelques années plus tard par un troisième, mènent chaque année un projet ambitieux autour de la Shoah, pour les classes de première L et ES.
Cette question est abordée tout au long de l’année avec comme point d’orgue un voyage dans un camp de concentration au mois de mai.

Le travail de préparation commence dès le mois d’octobre par des conférences d’historiens ou de rescapés, se poursuit par la visite de la prison de Montluc puis se décline dans toutes ses largeurs en cours d’histoire.
Les profs de Français analysent également des textes d’anciens déportés comme Jorge Semprun. Et pour l’oral du bac de français, sur la « liste des activités » qu’ils présentent à l’examinateur, sont notés tous les lieux mémoriels qu’ils ont pu visiter.
Depuis 2005, ce sont plus de 1 000 élèves qui ont visité des camps de la mort et d’autres sites mémoriels.

En mai, les élèves de première partiront dix jours à Berlin, à Varsovie (pour voir l’ancien ghetto) et aux camps de Chelmno et Treblinka.

 

« Faire réfléchir sur ce qui a été le sommet du racisme »

Emmener 90 élèves pendant dix jours représentent un gros travail d’organisation et de recherche de subventions. L’un des deux profs d’histoire à l’origine du projet, Yann Soulier, parle « d’engagement humaniste contre le racisme et l’antisémitisme » :

« On ne compte pas les heures. Si on comptait, ça représenterait peut-être un treizième ou un quatorzième mois ».

A l’origine du projet, les enseignants poursuivent un double objectif, selon Yann Soulier :

  • « On met le paquet sur ce point du programme car on veut faire réfléchir sur ce qui a été le sommet du racisme dans l’histoire de l’humanité ».
  • « Dans notre établissement, il y a une forte mixité sociale. On veut que tout le monde se rende dans un camp, y compris les élèves issus des milieux les plus populaires et de l’immigration ».

L’organisation de conférences succèdent donc à la recherche de fonds. Chaque année, il faut environ trouver 80 000 euros de subvention pour faire partir tous les élèves.

 

Des panneaux d’expo sur la Shoah lacérés

Et cette année, en plus de la préparation du voyage, les élèves de Givors ont donc été mis à contribution pour le 70e anniversaire de la libération d’Auschwitz. Ce mardi, ils ont d’abord assisté à une conférence sur le crime contre l’Humanité » par Jean Olivier Viout, l’ancien Procureur général de Lyon (qui a représenté le parquet au procès de Klaus Barbie).

Ensuite, ils ont présenté l’exposition «Les Juifs de France dans la Shoah», qui trône dans le hall d’honneur de la préfecture du Rhône.

« C’est un grand poids et une grande fierté », nous déclare Bahar, 17 ans, qui présente son panneau.

Une lycéenne de Givors, Bahar, en compagnie d'une de ses camarades et de sa prof de Français. ©LB/Rue89Lyon
Une lycéenne de Givors, Bahar, en compagnie d’une de ses camarades et de sa prof de Français. ©LB/Rue89Lyon

Il s’agit du panneau sur l’épisode du sauvetage des enfants juifs du camp de Vénissieux en 1942.

Tout est dans le symbole. Il s’agit de montrer que ces jeunes deviennent « porteurs de la mémoire de la Shoah » selon les consignes du ministère de l’Education nationale.
Mais pas seulement. A Givors, il est question également de montrer la force de l’implication des élèves après un acte antisémite.
Le vendredi des vacances de Noël, 12 des 25 panneaux de cette même exposition alors dressés dans le hall du lycée ont été lacérés.
Une plainte a été déposée auprès de la police qui a qualifié cet acte d’antisémite. C’est le premier incident en dix ans de projet sur la Shoah. C’est aussi la première fois qu’une exposition sur les « Juifs pendant la guerre » trône dans le hall de l’établissement.

« Les élèves ont été choqués », affirme aujourd’hui la proviseur Ginette Exbrayat. Elle évoque un « électrochoc » chez les élèves de première investis dans ce projet.

Bahar de première L témoigne :

« Je ne comprends pas. Quand on lit le témoignage de ces personnes, on voit qu’elles ont souffert. On ne respecte pas leur mémoire en faisant ça ».

Après un moment d’abattement, il a été décidé de recoudre les panneaux lacérés et de poursuivre. Antoine Grande, du Mémorial de Montluc explique :

« Cette lacération montre la nécessité de porter cette question ici. C’est un acte d’ignorance. »

 

« Une responsabilité individuelle »

Toutes les classes de première ainsi que tous les délégués des autres classes du lycée ont été réunis. Mathias Leduc, le dernier arrivé des trois profs d’histoire raconte :

« On leur a surtout dit qu’ils avaient une responsabilité individuelle dans la lutte contre le racisme et l’antisémitisme. »

Le message des enseignants faisaient échos à la lettre de Simone Veil à l’attention des élèves des collèges et lycées français le 27 janvier 2012 :

« Il vous appartiendra de faire vivre ou non notre souvenir, de rapporter nos paroles, le nom de
nos camarades disparus. Notre terrible expérience aussi de la barbarie poussée à son paroxysme, flattant les instincts les plus primaires de l’homme comme les ressorts d’une modernité cruelle. »

Dans les classes de première, le message semble entendu.
Emma fait partie des quatre élèves qui sont montés à Paris pour représenter le lycée de Givors. Elle dit toute « sa fierté » et son « engagement » pour continuer le travail :

« Ceux qui ont lacéré l’exposition n’ont pas conscience de la gravité d’un tel geste. Nous devons continuer à porter ce témoignage ».

Mais ce sont surtout les attentats des 7, 8 et 9 janvier qui font parler :

« Après les attentats de Paris, on a vu les messages de haine. On voit cette augmentation de la xénophobie. En faisant tout ça, on veut éviter que ça se reproduise ».

Une autre lycéenne, Lucie, a pris l’initiative de « raccommoder » le panneau de présentation de l’exposition.

Lucie (à gauche) en compagnie d'une autre élève de Givors, Sarah. C'est elle qui a raccommodé avec du tissu rouge l'un des panneaux de l'expo lacéré. ©LB/Rue89Lyon
Lucie (à gauche) en compagnie d’une autre élève de Givors, Sarah. C’est elle qui a raccommodé avec du tissu rouge un des panneaux de l’expo lacéré. ©LB/Rue89Lyon

Elle s’en explique :

« Ce genre de geste ne nous arrêtera pas. On sera toujours là. C’est à nous de faire passer le message ».

 

« On voit nos élèves évoluer »

A ceux qui, comme Marceline Loridan-Ivens, survivante d’Auschwitz, sont pessimistes et « pense que le monde reproduit l’antisémitisme depuis 2 000 ans », les profs de Givors répondent par l’évolution positive de leurs élèves.

Oui, il y a des questions ou des remarques sur la concurrence mémorielle entre Juifs et Arabes et sur le conflit isrélo-palestinien. Mais les profs et les différents intervenants y répondent en prenant le temps d’expliquer la spécificité historique de la Shoah.

Marguerite Callaut, prof de Français, raconte cette évolution :

« En octobre, lors de la première conférence de Philippe Boukara historien et formateur du Mémorial de la Shoah, une élève est intervenue de manière agressive sur le mode « les Juifs l’ont bien cherché ». L’intervenant lui a répondu. Et on repris la discussion en cours. Aujourd’hui, il n’y a plus de problème ».

Yann Soulier conclut :

« Ce sont des élèves qui ne se seraient jamais rendus dans un camp. Et à chaque passage, ça se passe très bien. Il n’y a aucun problème. Il y a même des parents qui nous disent que leur enfant les a emmenés dans un camp, pendant les grandes vacances, comme le Camp des Milles près d’Aix-en-Provence ».


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