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20/03/2024 date de fin
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Blog du taulard # 22 : « On ne peut pas donner un visage humain à la prison »

Je crois, lecteur, qu’à partir du moment où l’on n’arrive pas à concevoir l’idée qu’une société sans prison pourrait exister, on ne peut pas comprendre grand chose aux raisons fondamentales de l’inhumanité à laquelle ne peut échapper le système carcéral.

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iles du salut royale batiment des gardiens5

 

C’est vrai que pour commencer à concevoir ce que certains appelleront utopie, Il faut savoir la réalité du fonctionnement actuel des taules. Or ce système est tellement fermé, qu’il est difficile de savoir ce qu’il s’y passe, exceptés les prisonniers eux-mêmes et leurs gardiens.

La prison se réduit donc finalement à un face à face, sans la moindre chance d’un tiers modulateur, où d’un côté il y a ceux qui ont le pouvoir et la possibilité de faire de la propagande et de l’autre ceux qui sont maintenus dans le silence et l’impuissance. Et si une personne est nommée officiellement pour tenter de faire un peu la part des choses, je pense au Contrôleur des prisons Jean-Marie Delarue, lorsqu’il critique trop fort cette situation inique, on le salit pour que ses propos deviennent caduques et on l’affuble de partialité.

 

La part d’ombre refoulée de chacun

Je crois aussi que si on n’arrive pas à comprendre que la punition n’est qu’un dressage sans fondement philosophique et rabaisse l’homme à un animal dépourvu de conscience, que cette punition est uniquement au service de l’idéologie dominante des puissants et des gens de pouvoir, alors on aura encore plus de mal à se représenter un vivre ensemble sans enfermement et sans exclusion.

La croyance à la vertu de la punition est un des ressorts du refoulement de sa propre part d’ombre et c’est un frein majeur, car, dans cette acceptation du châtiment, on dissimule avec soulagement ce qu’on n’admet pas, même dans sa plus stricte intimité, à savoir qu’entre un taulard et soi, il n’y a aucune différence particulière.

Pour ceux donc, à l’extérieur, qui croient être libres et qui ont quand même quelques soucis de cette situation folle où se vautrent la justice et la prison, cette tentative de compréhension est phagocytée par excès d’imaginaire qui, à partir de bribes d’informations, s’activent en s’appuyant sur une expérience personnelle qui n’est pas l’enfermement physique et réel. Je le sais, avant de faire de la taule, je n’y connaissais rien.

Certes, je n’aimais pas cette répression et je savais que la justice était faite pour les riches et les dominants, mais je ne pouvais aller au-delà du centième de la réalité, coincé dans mes petites explications bien rassurantes. C’est d’ailleurs ça qui me pousse à témoigner. Je me suis dit : il faut qu’ils sachent. Et je m’aperçois que beaucoup ne veulent rien savoir.

J’en tire la leçon suivante : tant qu’on n’a pas l’expérience de quelque chose on se contente du « on-dit » qui circule et on l’annonce comme des élèves bien sages, pour rester dans ces habitudes de pensées, saisissant des cas particuliers comme preuve irréfutable de sa vision personnelle en confortant le tout dans un savoir pré-établi. A moins d’une rigueur dans l’écoute et assez de sagesse pour mettre en retrait ses propres idées et ses croyances profondes, on défend une fausse réalité qu’on a construit soi-même.

 

Tout le monde parle à la place des taulards

Du coup, je comprends aussi comment il est facile de se prétendre spécialiste ou expert sous prétexte d’études, de diplômes, d’enquête statistiques (on sait bien qu’on fait dire ce qu’on veut aux chiffres) pour faire valoir un consensus stéréotypé. Certain, assez malins, se construisent une sinécure et une rente qu’il n’est pas question de perdre. Il n’y a personne pour les contredire et si un autre a l’outrecuidance de les contredire, ils hurlent au loup et en rient avec mépris.

Seule, l’administration pénitentiaire peut faire voir sa façade qu’elle maquille avec la complicité de la presse et du plus grand nombre des bénévoles qui interviennent en prison. Elle enfonce le clou avec une masse, accréditant ainsi l’objectivité de ces experts puisqu’ils les critiquent…. Un peu, et ces derniers jouent le jeu en contestant mollement. Bauer, le copain de Sarko et Valls en est le prototype.

Il en est de même avec des associations qui se prétendent spécialistes. Évidemment celles des bénévoles professionnels qui se légitiment de leur participation hypocrites, mais aussi d’autres comme l’Observatoire Internationale des Prisons (OIP) qui s’enferment dans un face à face juridique avec la pénitentiaire. Et tout le monde y va de son petit diktat, de sa sentence et de sa vérité, en parlant à la place des taulards. Et tout ce beau monde se regroupe bien vite sur le fait qu’une société sans prison ça ne peut pas exister.

Du coup, Madame Michu et Monsieur Dugenou confortent leur approche déjà programmée et réclament sanction et sévérité sécuritaire.

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Bagne de Cayenne. Le bâtiment des gardiens ©Guy Marchal

On est peu de taulards à l’ouvrir

Ceux qui ont vécu ce dont parlent ces gourous experts, autrement dit les prisonniers, et qui essayent de rectifier les mensonges, les dérives et les écarts, qui tentent de rétablir un minimum de réalité, se font censurer très régulièrement. D’abord parce qu’ils sont très largement minoritaires et ne représentent aucun contre pouvoir.

On n’est quand même pas beaucoup de taulards à oser l’ouvrir, ceci pour pleins de raisons et notamment celle de s’exprimer de manière audible. Il faut en effet mettre à distance sa révolte et sa haine que les conditions carcérales ont suscité, l’envie de tout casser et l’écœurement quotidien qui en découle, sa colère et son désespoir liés à l’inutile violence de la taule.

Il faut aussi avoir été capable, dans sa jeunesse, d’avoir pu supporter l’école dans ses principes militaires et concurrentiels pour avoir un langage et une syntaxe qui soient entendus par le plus grand nombre. On le voit bien avec l’actuel ministre des finances, il est bien le premier à évoquer les illettrés qu’on licencie. Enfin il faut pouvoir garder son envie de combattre, de ne pas courber l’échine et de ne pas se laisser détruire. Cela fait beaucoup de choses à gérer. Dans la survie, la prise de parole n’est pas prioritaire.

On discrédite les prisonniers qui prennent la parole

 


Quand ils arrivent à le faire, s’ils ceux qui arrivent à témoigner n’ont rien de spectaculaire à faire passer, les micros se ferment et les journalistes regardent ailleurs. Aujourd’hui seul compte le buzz. On peut alors comprendre les tentatives désespérées de monter sur les toits, de prendre quelqu’un en otage, de se rebeller ou de répondre à la violence par la violence.

Si malgré tout, ils arrivent à glisser 2, 3 mots, on les discréditent immédiatement. « Comment ? Ils osent parler ? Ils sont délinquants, ils ont fait des horreurs, alors ils n’ont rien à dire ». On tue leurs paroles pour ne pas y répondre. (je l’ai déjà dit : 75 % des détenus ont des peines inférieurs à 1 an et les crimes horribles dont nous gavent les médias ne représentent que 0,2 % de la population carcérale et pourtant le fantasme est tenace).

 

Peut-on rendre humaine une torture ?

 


C’est pour ces raisons, et d’autres encore, que beaucoup prétendent, et particulièrement ceux qui y interviennent, n’en déplaisent à tous ces bénévoles que j’interpellais dans mon texte précédent, qu’on peut donner un visage humain à la prison, qu’on peut respecter l’humain dans l’enferment.

C’est une position schizophrénique. Peut-on rendre humaine une torture quelle qu’elle soit ? Mais cette position réformiste a un gros avantage pour les bourreaux, elle permet de faire perdurer tout ce système et le consolider si nécessaire, puisque cela revient à dire que la prison est inévitable, que c’est un mal nécessaire. On rajoute que cette horreur peut être pédagogique et rédemptrice.

C’est la même schizophrénie où contrainte maximale et pédagogie seraient compatibles. C’est en liberté qu’on apprend, sinon on obéit. Or si on ne combat pas pour l’humanisme, sans concession, on devient tous inhumains. C’est vrai que l’homme est la seule créature capable de couper des arbres pour en faire du papier et écrire dessus qu’il ne faut pas couper les arbres.

Réfléchis à ça lecteur, et regarde alors, si c’est le cas, pourquoi tu penses qu’il faut toujours de la prison.

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