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En Rhône-Alpes, la pauvreté enkystée

Le nombre de personnes pauvres s’est stabilisé en Rhône-Alpes. C’est peut-être la seule bonne nouvelle du rapport biennal de la Mission régionale d’information sur l’exclusion (MRIE) qui a été rendu public ce lundi. Après l’Insee en septembre, la MRIE dresse le portrait d’une région où les pauvres deviennent de plus en plus pauvres.

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Région réputée « riche » et « économiquement dynamique », Rhône-Alpes voit la grande pauvreté gagner du terrain. Numériquement, la MRIE nous dit que le nombre de pauvres (définis comme les personnes vivant sous le seuil de pauvreté) est stable depuis la fin des années 2000. En 2011, ils étaient 779 000 (12,4% de la population) à vivre avec mois de 977 euros par mois.
Les plus concernés sont toujours :

  • les habitants des quartiers dit « prioritaires ».
  • les familles monoparentales. 28% sont pauvres.
  • les habitants du sud et du sud-ouest de la région. Le taux de pauvreté est de 9,6% en Haute-Savoie et 15,4% dans la Drôme.

Territorialement, les inégalités se sont également creusées. Les riches sont devenus plus riches et les pauvres, plus pauvres. Comme le montre le graphique ci-dessous.

Lecture : Le niveau de vie plafond des 10% des habitants de la Loire les plus pauvres a augmenté de 7,9% en 5 ans. Il a augmenté de 10,4% pour le niveau de vie médian des Ligériens et de 9,7% pour les Ligériens les plus riches. Graphique : Mrie; Source : Insee.
Lecture : dans la Loire, le niveau de vie plafond des 10% les plus pauvres a augmenté de 7,9% en 5 ans. Il a augmenté de 10,4% pour le niveau de vie médian des Ligériens et de 9,7% pour les Ligériens les plus riches. Graphique : MRIE; Source : Insee.

 

Entre 400 et 800 euros par mois

Si le nombre de pauvres est stable, leur situation a tendance à se dégrader. Autrement dit, leurs revenus sont en baisse.
Fin 2013, 280 000 Rhônalpins ont perçu un des cinq minima sociaux. Ils étaient 245 000 fin 2011. Ceux-là gagnent donc entre 400 et 800 euros par mois.

Annaïg Abjean, directrice de la MRIE, commente :

« La situation s’est fortement dégradée jusqu’à 2012. Aujourd’hui, on constate une stabilisation dans la dégradation. D’où un phénomène d’enkystement ».

Même constat de la part des acteurs de terrain rencontrés par la MRIE. A l’image de ces « professionnels » de la Caisse d’allocation familiale de Roanne cités dans le dossier 2014 :

« La situation se dégrade. Les publics précaires qui étaient limite ont désormais basculé dans la pauvreté. Du fait d’un accident de parcours (pertes d’emploi, maladie, rupture), l’équilibre ne tient plus. Alors qu’auparavant, ça tenait tant bien que mal, aujourd’hui, ça bascule ».

 

La « survie » au détriment de la santé

Dans les enquêtes auprès d’usagers des services sociaux, le terme qui ressort le plus est celui de « survie ».
Régulièrement, ils doivent procéder à des arbitrages dans la satisfaction de leurs besoins primaires : manger ou se soigner ? Se loger ou se soigner ?

De plus en plus de ces arbitrages se fait au détriment de la santé. En 10 ans, la part des revenus des familles les plus pauvres consacrée à la santé a très fortement chuté. En 2001, elle représentait 4,5% de leurs dépenses, et en 2011 plus que 1,8%.

A 100 lieux des idées reçues sur les soit-disant « assistés », le dossier de la MRIE décrit, une fois de plus, des plus pauvres qui ne font pas appel à toutes les prestations sociales auxquelles ils ont pourtant droit. Cela représente au minimum 10% des intéressés, selon Philippe Warin, directeur de l’Observatoire des non-recours aux droits et aux services (Odenore) :

« Les taux de non-recours oscillent en France entre 10% et 90% en fonction de l’offre considérée (prestation financière et aide sociale, dispositif d’accompagnement ou de médiation). »

Une étude est en cours pour mieux comprendre pourquoi, précisément, les plus pauvres ne demandent pas ou n’ont pas accès à telles ou telles prestations. Des chercheurs grenoblois avaient d’ores et déjà pointé plusieurs explications : la non-information ; la difficulté de suivre le processus de demande, souvent compliqué, jusqu’au bout ; ou encore le sentiment de honte…

Les « méfaits de la complexification administrative » sont souvent pointés par les acteurs sociaux, qui sont les premiers à s’en plaindre et s’y perdre.

Mais ce sont les usagers qui en pâtissent, comme l’expliquent des « professionnels d’Ambérieu-en-Bugey :

« Les dispositifs qui sont censés régler l’exclusion des droits génèrent de l’exclusion des droits de par leur complexité ».

L’usage à gaz qu’est le RSA est un bonne exemple. Dans le Rhône selon une enquête, 8% des ménages fréquentant les centres communaux d’action sociale sont concernés par des indus.

 

15 000 logements manquants

Dans un contexte régional où il manque « 15 000 logements » (selon la MRIE), l’une des conséquences de cette intensification de la pauvreté se situe au niveau du logement social.

D’une part, il y a de plus en plus de personnes très pauvres dans le parc social. Parmi celles, certaines pourraient même prétendre à des loyers moins élevés. La directrice de la MRIE, Annaïg Abjean, explique :

« Une grande partie de ces ménages sont logés dans du logement social de type PLS ou PLUS alors qu’au vu de leurs ressources, ils ont le droit de prétendre à un logement moins cher de type PLAI ».

D’autre part, la liste d’attente pour obtenir un logement social s’allongeant, les plus pauvres sont contraints de loger dans le parc privé.
C’est l’une des explications du développement de la précarité énergétique. Autrement dit, les difficultés pour payer ses factures d’électricité ou de gaz. Selon cette même étude réalisée par les CCAS du Rhône, 39% sont dans cette situation.

Pour l’union départementale du Rhône des CCAS, c’est également ce qui explique une recrudescence des sollicitations et des demandes chroniques : en clair, on vient voir les services sociaux de sa mairie à la suite d’impayés d’énergie.

Plus de pauvres dans le parc privé, cela explique également l’augmentation continue des expulsions locatives pour atteindre 6 216 « commandements de quitter les lieux » en Rhône-Alpes en 2013. Et dans deux tiers des cas, cela a conduit à un recours à la force publique.

Au niveau national, 61% des demandes d'urgence au 115 faites lors de l'hiver 2013/2014 n'ont pas donné lieu à un hébergement. Ce taux était largement supérieur dans le Rhône malgré l'augmentation du nombre de places.
Sur le plan national, 61% des demandes d’urgence au 115 faites lors de l’hiver 2013/2014 n’ont pas donné lieu à un hébergement. Ce taux était largement supérieur dans le Rhône malgré l’augmentation du nombre de places.

 

Peu ou pas d’espoir du côté de l’emploi ?

Et demain ? S’il y a une amélioration de l’emploi ? La directrice de la MRIE répond :

« Même s’il y a une embellie de l’emploi, on sait que ça ne profitera pas aux plus pauvres. Car ce ne sont jamais les personnes les plus éloignées de l’emploi qui en profitent ».

Cette réflexion est née d’études de terrains menées sur deux territoires : la région d’Oyonnax (Ain), connue pour la plasturgie et la vallée de l’Arve (Haute-Savoie), réputée pour le décolletage. Dans ces deux zones fortement concernées par la mort d’emplois industriels, la situation économique s’est légèrement améliorée depuis 2013.

Mais, note Flora Perrier, chargée de mission à la MRIE, l’emploi créé a été seulement des postes en intérim et qualifiés :

« Dans la Vallée de l’Arve et à Oyonnax, on a perdu des emplois faiblement qualifiés et quand il y a eu une reprise ceux qui occupaient ces emplois n’ont pas pas pu se faire réembaucher ».


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