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Le vin naturel va-t-il sauver le Beaujolais ?

Les vendanges dans le Beaujolais commencent ce lundi. 50 000 vendangeurs sont attendus pour couper le raisin sur 16 000 hectares, entre Lyon et Mâcon.

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Dans les vignes du Beaujolais (Côtes de la Molière). Crédit : DD/Rue89Lyon.

Nous republions notre article du 19 novembre 2014, publié à l’occasion du Beaujolais nouveau.

Il va se boire nouveau cette semaine à Lyon et un peu partout dans le monde. Le Beaujolais n’est pourtant pas qu’un vin qui goûte bien en primeur. C’est d’ailleurs une autre facette de son identité, celle de berceau historique du vin dit naturel, ré-investie par des vignerons engagés, qui pourrait permettre à ce terroir en mal d’amour (notamment à Lyon) de redorer son blason.

Dans les vignes du Beaujolais (Côtes de la Molière). Crédit : DD/Rue89Lyon.
Dans les vignes du Beaujolais (Côtes de la Molière). Crédit : DD/Rue89Lyon.

« Quand le gamay est bon, c’est qu’il pinote un peu » (c’est à dire qu’il tendrait à avoir le goût du pinot, de Bourgogne par exemple, sa région voisine) : c’est l’une des vannes qu’un vigneron lancera à un collègue du Beaujolais pour dénigrer son cépage et l’énerver. Le « Beaujo » revient pourtant sur le devant de la scène. Comme un rouge léger, que ceux qui le travaillent en version nature rendent encore plus digeste. Une question de « buvabilité » finalement, du point de vue du consommateur, dirait Lilian Bauchet, « néo-vigneron » qui produit du Fleurie sur 3 hectares nouvellement acquis.

Ce qui est considéré comme un phénomène de mode, très urbain voire tout à fait parisien (Lyon aimant jouer la prudente suiveuse), c’est à dire l’engouement pour les vins natures et naturels, et, par conséquent, l’intérêt de jeunes vignerons pour ces façons de travailler et de vinifier, correspond aussi à un retour vers une identité originelle de ce terroir.

Toute proportion gardée. Si les chiffres sont difficiles à obtenir, notamment parce qu’aucune définition claire n’est arrêtée pour les vins bio, dits naturels ou encore « natures », (et l’objet de cet article n’est pas de trancher dans les disputes sanglantes), on peut estimer que tous ceux-là ne représentent qu’entre 1% et 3% de la production de vin globale, tout le reste étant donc la majorité, fait en « conventionnel ». Peut-être une poignée, une centaine de vignerons sur les 2000 qui vivent du vin dans le Beaujolais.

Il s’agit donc d’un microcosme hérissé de chapelles opposées, nourri d’actions militantes et donc répandues au mégaphone par certains, ou de façons de travailler simplement mises en valeur, par les médias, à l’heure où la façon de consommer et donc de boire fait l’actualité.

 

Beaujolais nouveau, salaud ?

En 2013, 30 millions de bouteilles de Beaujolais nouveau sont parties des caves. En moyenne et si on exclut des années noires telles que 2012, on estime (un chiffre donné par Inter Beaujolais, organisation professionnelle sur le territoire, surtout pour la proportion) que 800 000 hectolitres de Beaujolais sont vendus chaque année, dont 230 000 hectolitres de Beaujolais nouveau. Le primeur est donc loin de constituer la totalité ni même la majeure partie des ventes du terroir.

Il a pourtant fait connaître le nom du Beaujolais à travers le monde, en tant qu’un des meilleurs coups marketing de l’histoire des coups marketings. Mais c’est bien sa propre promo que le Beaujolais nouveau a assuré, et pas celle du terroir et du gamay.

Lilian Bauchet, vigneron dans le Beaujolais. Photo DR.
Lilian Bauchet, vigneron dans le Beaujolais. Photo DR.

Lilian Bauchet, qui refuse de dire par principe que ce vin n’est pas bon, « car certains sont vraiment magnifiques dès lors que le vigneron respecte son raisin et son terroir et qu’on ne fait pas n’importe quoi en vinification », nous faisait le résumé de ce succès devenu boulet au pied :

« Il y a eu une grosse demande en vin du Beaujolais en primeur, car il se goûte particulièrement bien. Fort de ce succès commercial, on a tout fait pour grossir le marché et l’alimenter, on a augmenté les rendements. On a arraché de vieilles vignes pour en planter des jeunes. On a utilisé les artifices oenologiques pour produire un vin qui soit buvable.

Quand vous êtes engagés sur des marchés négociés au mois de juillet, avec l’obligation de fournir des vins le troisième jeudi de novembre, c’est difficile de ne pas honorer. Sur certaines années tardives, il est très difficile de faire des primeurs, surtout ceux qui doivent partir en bateau pour être consommés à l’autre bout de la planète, qui doivent être faits et mis en bouteilles parfois en moins de 10 jours ! Si on laisse faire la nature pour ces millésimes, on a une chance sur 100 seulement que les fermentations se déroulent en un espace aussi court, et donc on utilise tout un arsenal, on ajoute des bactéries lactiques, on filtre à mort, on stabilise pour éviter que le vin se remette à travailler en bouteille. »

Gilles Paris, président d’Inter Beaujolais, se dit « évidemment intéressé » par « les tendances au bio, à plus de naturel, comme dans l’agriculture en général ».

Mathieu Lapierre, vigneron à Villié-Morgon, rappelle le mauvais rapport et les couacs entre ce terroir et sa métropole voisine, Lyon :

« Lyon était le premier client du Beaujolais, avec Mâcon, dans les années 1950 et 1960, à une époque où le vin était encore fait d’une manière traditionnelle. Et quand il y a eu ce tournant technique massif de vinification, les Lyonnais l’ont refusé.

J’ai été cuisinier dans des restaurants à Lyon et j’ai vu des chefs se détourner. Ils en voulaient aux vignerons, se disant : ça y est, ils sont devenus internationaux avec le Beaujolais nouveau et ils nous ont vendu de la merde. Ils ont vécu tout cela comme une trahison. C’est en train de revenir, la confiance, tout doucement. »

 

Partout dans le monde…

Les vins naturels restent une micro-production dans la globalité de ce qui se fait en France. Il y a désormais une demande plus forte que ce qui est produit. Si Lyon a encore envie de bouder le Beaujolais, par principe, rigorisme, amertume, il est bu ailleurs et très apprécié. Dans sa version naturelle, donc.

Mathieu Lapierre a repris le domaine de son père, Marcel, figure historique du vin naturel dans le Beaujolais qui a continué à porter le gamay tandis que des affaires de chaptalisation abusive du vin éclaboussait le terroir. Il fait cette année son quatrième  millésime estampillé avec son prénom et (depuis un an) avec celui de sa soeur, Camille.

Après avoir essuyé les premières critiques et réticences, Mathieu est reconnu pour avoir maintenu le nom de Lapierre à son rang. Il reste une référence qui a même retrouvé une place sur les tables lyonnaises, elles qui ne connaissent quasi plus que les Côtes du Rhône. Pas moins d’une douzaine de restaurants le servent désormais dans l’agglomération. Une référence, donc, et dans le naturel qui plus est. Même si Mathieu reste prudent avec le qualificatif, « qui a aussi bonne presse que mauvaise presse ». Lui n’a pas envie d’être « trop radical » :

« J’aime bien parler de vin de terroir. Vin nature ou vin bio, pour moi, ce ne sont que des outils pour arriver à des fins gastronomiques. »

Il vend 50% de sa production à l’étranger et saurait parfaitement parler de l’engouement pour le nature qu’il constate à New York ou à Montréal, où ses vins sont bus.

 

… Et jusqu’à Copenhague, sur la table du Noma

Isabelle et Bruno Perraud (Côtes de la Molière) seront présente au Salon des vins Rue89 Lyon. Crédit : DD/Rue89Lyon.
Isabelle et Bruno Perraud (Côtes de la Molière) seront présente au Salon des vins Rue89 Lyon. Crédit : DD/Rue89Lyon.

Autres étendards d’un mouvement, Isabelle et Bruno Perraud, à Vauxrenard, font des vins natures dans leur domaine Côtes de la Molière. Du Beaujolais nouveau, aussi, dans les gammes. Dont une cuvée, cette année, destinée à Téo, l’enfant d’une amie atteint d’un cancer. Ils sont quasi introuvables à Lyon (ils étaient toutefois présents au premier salon Rue89 Lyon des vins).

« Beaucoup me disent : arrête de dire tout ce que tu ne mets pas dans tes vins, parce que ça veut dire que nous, on le met dans les nôtres, » raconte Isabelle quand on l’interroge sur ses relations avec les « conventionnels » du Beaujolais.

« On n’a pas assez de vin, donc ce serait bête de travailler avec des gens avec qui ça ne passe pas », résume Isabelle, pro des réseaux sociaux, blogueuse et communicante hors pair.

Les vins du couple sont vendus à 70% à l’export, au Québec, aux  Etats-Unis, à Singapour… Le reste en France, principalement à Paris.

Et les Perraud sont à la carte du Noma, désigné meilleur restaurent du monde en 2014.

La grande distribution est de plus en plus intéressée par le bio et par les produits qui ont le vent en poupe dans certains établissements :

« Il y a 20 ans, on attendait qu’ils nous appellent et maintenant c’est l’inverse. Mais jamais on ira : si nos vins se retrouvent dans les rayons, personne n’expliquera au consommateur pourquoi le vin peut être éventuellement trouble, comment il se boit, ce qu’il est. »

Un produit « anti-grande distribution », donc, selon les termes de Lilian Bauchet.

 

Une petite Toscane et ses côteaux aux portes de Lyon

Mathieu Perrin, à la tête d’une des rares caves lyonnaises dédiées au vin naturel, Vins des Vivants (dans le 1er), est particulièrement fan des « rouges légers » que produit le Beaujolais. Dans sa version nature.

« C’est un très beau terroir avec des vins superbes. Et des vallées tout aussi belles, on a l’impression d’aller en Toscane parfois. Certains n’imaginent même pas que le Morgon, c’est du Beaujolais. »

Il en fait boire à ses clients sans revendication mais sait présenter le terroir sous un jour nouveau.

Un verre de vin naturel, chez Mathieu Perrin, au Vin des vivants (Lyon 1er). Crédit : DD/Rue89Lyon.
Un verre de vin naturel, chez Mathieu Perrin, au Vin des vivants (Lyon 1er). Crédit : DD/Rue89Lyon.

Le Beaujolais est bien un berceau du vin naturel et c’est dans une forme de retour à cette identité qu’il pourrait trouver son salut. Mais ce n’est pas sans mal. Faire du bio et du naturel dans le Beaujolais présente des difficultés directement liées à la topographie.

Le travail à la vigne, très en pente, et à la cuve est plus difficile. Donc plus valorisable.

Gilles Paris lui-même a tenté le coup sur une ou deux de ses parcelles (en Chiroubles) :

« Pour être bio il faut avoir des vignes mécanisables ou ne pas en avoir beaucoup, pour labourer à la main. Moi j’ai essayé mais les terrains sont tellement pauvres ici que c’est soit la vigne soit l’herbe qui pousse. Il n’y a pas 36 solutions, faut prendre la charrue, pour labourer la vigne. »

Il poursuit, en mettant donc le doigt sur le nerf de la guerre :

« Tout est faisable ! Mais alors pourquoi une bouteille de côte-rôtie qui est cultivée à la main vaut 50 euros et pas une bouteille de Chiroubles faite dans les mêmes conditions dans les côteaux ne serait pas vendue 30 euros ? »

 

Le (juste) prix du Beaujolais

C’est bien là que le bas blesse. Les prix du Beaujolais. Des vins pas chers, et donc avec une mauvaise image ? Des vins mauvais, alors vendus pas chers ? Quel que soit le bout par lequel on prend la question, les bouteilles de Beaujolais sont souvent rangées au pied des rayons de supermarchés.

Mathieu Lapierre vend, par exemple, sa bouteille de Morgon à 16 euros (prix particulier) :

« Ce qui est plutôt cher par rapport à la moyenne du village. Mais essayez de trouver une bouteille de bourgogne à 16 euros qui soit bonne, il y en a guère à ce prix-là ! Oui le Beaujolais mériterait d’être valorisé. Il a suivi toutes les méthodes techniques les unes après les autres, toutes les vinifications les plus modernes, les plus coûteuses, le Beaujolais s’est enfermé dans une boucle, il a beaucoup de mal de sortir de ce schéma économique. Les jeunes qui reprennent vont devoir prendre du temps pour renouveler la clientèle, pour s’extirper de cette vente au négoce en suivant les cours du beaujolais qui sont assez bas. »

Des bouteilles au Vercoquin, cave à vins... naturels, dans le 7e à Lyon.
Des bouteilles au Vercoquin, cave à vins… naturels, dans le 7e à Lyon.

Mathieu Lapierre joue lui-même le rôle de négoce : il achète des raisins bio, mais « jusqu’à trois fois plus cher que le prix du marché ». Comprendre de façon honnête vis-à-vis du vigneron, pour l’aider à avancer, estime-t-il :

« Quand on me demande ce qu’il faut pour se lancer dans le bio, je réponds : de la trésorerie. »

Lilian Bauchet, quant à lui, tente de donner le juste prix :

« On a la chance d’être sur une agriculture atypique, on est censés pouvoir vendre des produits à un prix qui nous permette de vivre.

Personne ne s’offusque d’acheter une bouteille de vin naturel 12 euros ou 15 euros. On a des potentiels de valorisation que n’ont pas d’autres agriculteurs. »

L’Interbeaujolais représente le terroir et ses producteurs conventionnels. Pourtant, quand son président, Gilles Paris, dresse la typologie des vignerons du Beaujolais et évoque « ceux qui travaillent sur du bio, sur « de petites parcelles de 4 ou 5 hectares », il qualifie, sans qu’on l’y pousse, les fruits de leur travail comme « des produits à forte valeur ajoutée ».


#Agriculture

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