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La crypte des Brotteaux : dernier tombeau des Lyonnais tués par l’armée de la Révolution

La crypte de Brotteaux renferme l’histoire des centaines de lyonnais massacrés par l’armée française, pendant la Révolution, sous la Terreur. Les crânes, tibias et fémurs de plus de 200 victimes sont entreposés à l’intérieur. Si l’aspect de la crypte rebute un peu, la visite avec Sœur Marie-Gabrielle, la guide des lieux, vaut le détour.

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La crypte des Brotteaux. DR

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Façade de la chapelle des Missionnaires de Notre-Dame. C’est sous cette chapelle que se situe la crypte des Brotteaux
© Matthieu Beigbeder/Rue89Lyon

Dans le quartier des Brotteaux, quelque part entre la place Guichard et le restaurant du Splendid, se dresse une chapelle qui semble se ficher royalement des mouvements de la ville.

Nous arrivons devant le portail à piques, plantés là quelques instants pour s’assurer de la réalité du lieu. On est très certainement passés mille fois devant elle, sans jamais l’avoir spécialement repérée. À l’intérieur de la chapelle, une statue bizarroïde sur la gauche, un lion en marbre mangeant une épée sur la droite. Devant nous, une allée scindant une petite dizaine de rangées de bancs. On avance, jusqu’à se retrouver soudainement nez à nez avec Sœur Marie-Gabrielle.

Elle fait partie d’une « famille », les missionnaires de Notre-Dame-des-Neiges, qui ont repris et entretenu le flambeau des visites de ce lieu sacré, depuis maintenant bientôt 35 ans. Les Notre-Dame-des-Neiges n’aiment pas beaucoup les journalistes, depuis qu’il y a eu du « sensationnalisme dans les journaux ».

Ils ne sont pas trop du genre photos non plus, depuis que « des gens avec des délires un peu… satanistes » se sont, eux aussi, pris à miser sur le prétendu côté sensationnel de l’endroit que l’on s’apprête à visiter. Et que l’extrême-droite lyonnaise s’est acoquinée avec le « héros » de la résistance monarchique lyonnaise, le comte de Précy.

Tout commence à la Révolution, en 1789

Cette fameuse crypte renferme une histoire que peu de Lyonnais peuvent se targuer de connaître : le massacre d’au moins 1604 Lyonnais par l’armée révolutionnaire de la Convention.

Tout commence en 1789. Une Révolution se déroule à Paris. La Bastille est prise, des têtes sont trimballées au bout de piques. À Lyon, c’est différent. Tellement différent qu’une contre-révolution, emmenée par le Comte de Précy, va s’organiser pour tenter de conserver le régime monarchique. Sœur Marie-Gabrielle donne son explication :

« Au moment de la Révolution, tout ce qui est social à Lyon fonctionne grâce aux religieux : les écoles, les hôpitaux, les œuvres de charité. A l’époque, c’était pas la ville qui faisait tout ça. En plus, Paris et Lyon ont toujours eu des relations serrées, de par notamment l’ancien statut de Lyon de capitale de la France. Quand Paris est devenue la capitale, Lyon restait le centre juridique de tous les tribunaux de France. L’histoire de Lyon est très embriquée dans celle de Paris, et les parisiens n’ont jamais vraiment aimé les lyonnais à cause de cette histoire de Justice »

À Lyon, un Jacobin prend le pouvoir, puis se fait décapiter

Alors quand, à Lyon, un membre de la Convention prend le pouvoir, la réponse lyonnaise ne tarde pas. Sœur Marie-Gabrielle :

« En 1793, à Lyon, un nommé Chalier, un Jacobin [un membre de la Convention, en faveur de la Révolution] est au pouvoir municipal. Il organise alors des perquisitions chez les familles qu’il savait en désaccord avec la Révolution, et arrête tous les pères de famille.

Nous n’avons pas trouvé de notes confirmant les dires de Soeur Marie-Gabrielle. Une chose est sûre, la politique sociale et autoritaire que tente de mettre en place Chalier à Lyon ne plaît pas aux Girondins (les ennemis des Jacobins), et notre homme se crée en ce temps de nombreux ennemis. Les nostalgiques de la monarchie et de la séparation des trois ordres sont au premier rang.

Il installe une guillotine Place des Terreaux, en face de l’Hôtel de ville. Malgré ses soutiens jacobins et 1800 hommes à disposition, quelque 800 Lyonnais vont se rebeller. Ils prennent possession de l’arsenal d’armes qui se situe place Bellecour et font tomber Chalier au cours d’une manifestation qui dégénère en émeute.

« Chalier va inaugurer sa propre guillotine. L’histoire dit qu’il y avait une telle euphorie, l’échafaud avait été tellement ébranlé que la guillotine n’avait pas fait effet du premier coup. Le boucher du coin serait venu terminer le travail. »

Lyon doit être rayée de la carte de France

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Les ossements de la crypte des Brotteaux
© Bibliothèque municipale de Lyon

Paris ne va pas tarder à réagir. Des délégués lyonnais, envoyés pour négocier « les réformes dans la paix », vont revenir de justesse avant de se faire zigouiller sur place. Dans la foulée, un décret tombe officialisant Lyon comme étant une « ville affranchie » : elle doit être rayée de la carte de France.

Les lyonnais commencent à organiser leur défense. Ils font appel à un comte, le comte de Précy, alors général à la retraite. On bâtit des forteresses, des barricades, dont certaines fortifications sont encore visibles aujourd’hui, d’après Sœur Marie-Gabrielle, quand on prend le train pour Paris, le long des murs de la colline de Fourvière.

Du 12 juillet au 12 octobre 1793, l’armée des Alpes [un corps d’armée local de la Révolution française] bombarde et assiège la ville d’alors, qui comprenait la presqu’île, Croix-Rousse et la colline de Fourvière. Autour, il n’y avait que des champs, des hameaux, par-ci, par-là, des marécages.

« Saint-Étienne va beaucoup aider Lyon »

A Lyon, on enrôle des volontaires, des hommes, des femmes, des enfants. On fait appel à des villes voisines. Et surtout, à LA ville voisine. Toujours sœur Marie-Gabrielle :

« Saint-Etienne va beaucoup aider Lyon, tant qu’elle pourra, en faisant couler des fusils par exemple. Des stéphanois vont rejoindre la ville pour apporter leur aide. »

On fait fondre des canons, jours et nuits. En tout, 8000 personnes se tiennent près. Les plus jeunes ont 17 ans. En face, des bataillons qui rassemblent 13 000 hommes s’installent. Le 20 août 1793, la ville est complètement assiégée, les bombardements commencent.

Les lyonnais tiennent un certain temps. Trop longtemps pour Joseph Fouché, membre de la Convention connu pour sa relative sévérité – et son animosité envers le Christianisme – qui fait intensifier les bombardements.

« Le 27 septembre, la nature humaine ayant ses faiblesses, il y a une trahison au sein de la communauté lyonnaise : quelqu’un a fait sauté la réserve d’armes des assiégés. C’est la catastrophe, il n’y a plus aucun moyen de se défendre. Il ne reste plus que 600 hommes. »

6 mois d’horreur, 6 mois de « Terreur rouge »

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À l’intérieur de la crypte
© Bibliothèque municipale de Lyon

A partir de ce moment-là, les lyonnais décident de faire une sortie en trois vagues. La première, menée par le comte de Précy, parvient à se faire la malle par la ville de Vaise. Le général s’exile en Suisse, où il finira sa vie. La seconde se fait repérer, la troisième n’aura même pas le temps de partir. L’armée des Alpes pénètre dans la ville le 12 octobre 1793, la « terreur rouge » peut commencer.

« Pendant 6 mois, tous ceux qui ont trempé de près ou de loin dans cette insurrection vont être pourchassés et exécutés, explique Sœur Marie-Gabrielle. Au début, 30 à 35 têtes tombent tous les jours de la guillotine, sur la Place des Terreaux. On fusille Place Bellecour, 60 à 70 personnes par jour.

Mais pour Fouché, ça ne va pas assez vite. On commence à fusiller les gens sur les façades de l’Hôtel de Ville. Ça ne va toujours pas assez vite, et les balles coûtent cher. Comme on a toujours beaucoup d’imagination dans ces cas-là, on invente alors la mitraille de fer. »

Près de 2000 lyonnais exécutés

La mitraille, ce sont des petits bouts de fer propulsés à coups de canon. Certains sont installés sur la plaine des Brotteaux. À l’époque, c’étaient des marécages, et on pouvait facilement y creuser des fosses. Aujourd’hui, c’est en plein centre-ville.

« Parfois, la mitraille ne suffit pas. Ce sont les chevaux qui finissent le travail. Quand ça ne suffit pas non plus, ce sont les fossoyeurs, le lendemain, qui finissent le travail à coups de pelle. »

L’historien Jean Tulard, dans son livre « Joseph Fouché », raconte le déroulé des opérations :

« Liés les uns aux autres, les condamnés sont placés à côté des fosses dans lesquelles les couchent les coups de canon. Ils meurent plus ou moins rapidement ; certains sont achevés à la baïonnette ou au sabre (…), d’autres sont enterrés vivants tandis que quelques-uns arrivent à s’échapper. »

Voilà pour le côté glauque. En 1795, une petite chapelle est construite sur la plaine des Brotteaux, par quelques familles des 209 victimes exécutées sur la plaine des Brotteaux, le 3 décembre 1793. Soeur Marie-Gabrielle nous explique que construire une chapelle en l’honneur des victimes lyonnaises n’était pas une mince affaire à l’époque :

« Il faudra attendre quelques années une accalmie des esprits. En mai 1814, un projet de monument en forme de pyramide est construit, Napoléon oblige. Il est terminé en 1819. En 1823, l’association de familles des défunts obtient l’autorisation d’exhumer les corps. Si les ossements sont aussi bien conservés, c’est grâce à la chaux versée sur les corps, juste après le massacre. »

Quelques dizaines d’années plus tard, le bâtiment est détruit et reconstruit une dizaine de mètres plus loin, pour convenir au nouveau plan d’urbanisation de la ville. En 1901 le bâtiment est fini, et en 1906 les ossements sont transférés. Le 2 août de cette année, la chapelle est bénie. Fin de l’histoire. Début de la visite.

Plusieurs centaines de crânes, tibias, vertèbres, côtes et autres fémurs sont entassés

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À l’intérieur de la crypte : à gauche, une partie des ossements ; à droite, le tombeau du comte de Précy.
© « Justine Doz »/justeunedose.fr

Après plus d’une heure d’explications historiques, Sœur Marie-Gabrielle nous conduit à l’intérieur de la crypte. Nous descendons un escalier en escargot, longeant des murs de pierres humides. À l’intérieur, les ossements sont là, et bien là. Impossible de faire semblant de ne pas les voir. Plusieurs centaines de crânes, tibias, vertèbres, côtes, et autres fémurs, effectivement bien conservés, sont entassés les uns sur les autres. Au milieu se dresse le tombeau du comte de Précy, qui a tenu à se faire inhumer ici.

Nous sommes rester là, à observer, sans trop oser se rapprocher. Nous avons contemplé, en se remémorant tout ce que notre guide venait de nous raconter. Puis nous sommes remontés, en silence. En haut, dans la chapelle, les noms des victimes sont affichés de part et d’autres des bancs de prières. Chaque année, nous indique Marie-Gabrielle, quelques descendants de victimes viennent ici retrouver la mémoire face aux restes de leur(s) ancêtre(s).

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