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A Lyon, l’économie circulaire sauvera-t-elle les ex-FagorBrandt de SITL?

Faire du neuf avec du vieux. Lundi 31 mars, le Tribunal de Commerce de Lyon a une énième fois repoussé la date buttoir de dépôt des offres de reprise de l’entreprise SITL (ex FagorBrandt). Les candidats ont maintenant jusqu’au 14 avril pour monter un projet de reprise. Parmi elles, celle des salariés qui veulent relancer leur usine de lave-linges avec un projet d’économie circulaire.  (article initialement publié le 6 mars)

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SITL-FagorBrandt-Economie-Circulaire

SITL-FagorBrandt-Economie-Circulaire
Rassemblement des salariés de SITL (ex-FagorBrandt) devant leur usine de Gerland le 4 mars ©Rue89Lyon

Lundi 31 mars  matin au matin, le Tribunal de Commerce de Lyon à de nouveau accordé un sursis à l’usine FagorBrandt, devenue SITL (Société d’Innovation et de Technologie de Lyon ) en 2011, avec le développement d’une production, à côté des lave-linges, de voitures électriques et filtres à eau. L’usine est en redressement judiciaire depuis le 2 janvier après le dépôt de bilan du groupe Fagor. A terme, si aucune offre de reprise n’est jugée viable, l’entreprise risque la liquidation judiciaire.

La date butoir de dépôt des offres de reprise a été repoussée plusieurs fois. L’audience de lundi devait statuer sur les trois offres déposées avant la date buttoir du 25 mars. Mais elle a fixé une nouvelle échéance au 14 avril, permettant aux 420 salariés de continuer d’espérer une reprise.

La dernière offre déposée est celle d’un groupe de salariés, qui sauverait 250 emplois en relançant la production de lave-linge, et en développant à terme un projet d’économie circulaire.

Une autre offre a été faite par le carrossier de Vénissieux Grau, qui propose de reprendre la production de véhicules utilitaires électriques, ce qui sauverait 40 emplois.

Quant au directeur de l’usine, Pascal Mallen, il a déposé un projet pour sauvegarder les 41 emplois dédiés à la production de filtres d’assainissement.

Il faut ajouter une PME de l’Isère, SNEP-Euroform, soutenue par des capitaux d’Abu Dhabi, qui a envoyé une lettre d’intention pour reprendre 200 salariés et continuer les activités filtre et véhicule électrique.

L’actuel PDG Pierre Millet avait d’abord proposé un plan de continuation des activités voiture électrique et filtre à eau, accolé à un plan de « collaboration économique » pour les employés qui produisaient des lave-linges. L’ensemble aurait sauvé environ 280 emplois.

« C’est le plan le plus simple » affirmait-t-il alors, arguant que les problèmes pour boucler le plan de financement sont « ni plus ni moins les mêmes que ceux des autres. »

Mais il a finalement déposé un plan de redressement complémentaire à une des trois offres de reprise.

 

L’opposition au plan du patron passe par l’économie circulaire

La majorité des salariés et l’intersyndicale (Sud, FO, CGT, CGC) ne veulent plus entendre parler de leur patron qu’ils accusent de les avoir conduits dans le mur.

Il y a un mois et demi, ils ont créé un groupe de travail, et envoyé une lettre d’intention de reprise par les salariés eux-mêmes à l’administrateur en charge du dossier.

« Si les salariés avaient cru en lui (le PDG Pierre Millet) personne n’aurait monté ce projet » analyse un salarié de Fagor-Brandt.

Leur projet inclut dans un premier temps le redémarrage de l’usine et de la fabrication de lave-linges, mais vise à terme une activité de remanufacturing en économie circulaire.

Les salariés ont baptisé ce projet « CIAPEM », pour reprendre le nom de notre usine de 1946 à 2001 (Compagnie Industrielle d’APpareils ElectroMénagers) recyclé en « Centre d’Innovations et d’Applications Pour le rEManufacturing ».

 

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Un des véhicules électriques produits par SITL et commercialisés sous la marque Brandt Motors. ©Rue89Lyon

L’économie circulaire, c’est-à-dire ?

La notion d’économie circulaire ne se développe que depuis quelques années. Le principe est pourtant simple : allonger la durée de vie des matières par le réemploi et le recyclage des composants.

Selon le récent Institut de l’Economie Circulaire, celle-ci « concrétise l’objectif de passer d’un modèle de réduction d’impact à un modèle de création de valeur, positive sur un plan social, économique et environnemental. »

Cela permet de rompre avec une logique linéaire de la production (fabrication – conception – jetage) et de lui substituer une logique de boucle : quand un produit arrive en fin de vie, il est démonté et ses composants vont servir à la conception d’autres produits. Ce que l’on considérait comme des déchets réintègre donc le circuit de production.

Du recyclage au remanufacturing

Appliquer aux machines à laver, le projet d’économie circulaire n’a rien de farfelu. Il vient même du très sérieux bureau d’études lyonnais de FagorBrandt dont les locaux jouxtent l’usine, à Gerland.

Depuis quelques temps, ce bureau d’étude travaille sur les possibilités du reconditionnement des pièces, ou remanufacturing, partant du principe qu’un grand nombre de pièces de lave-linges sont encore utilisables même si la machine ne fonctionne plus.

Face aux difficultés de SITL, les ingénieurs de FagorBrandt ont expliqué aux ouvriers l’intérêt de l’économie circulaire pour sauver l’usine.

Au départ, la plupart des employés des chaînes de montage n’y connaissaient presque rien. Mais ils ont rapidement compris le potentiel de ce système. « Pour moi, l’intérêt du remanufacturing est avant tout écologique, » avance une des membres du groupe de travail.

« Il faut sortir du recyclage où l’on se contente de trier et broyer, en réutilisant et remontant les produits sur la chaine de fabrication » complète une syndicaliste également membre du groupe de travail.

C’est du sérieux : « la preuve HP et Xerox le font »

La revalorisation des déchets peut évidemment réduire considérablement la pollution et et remédier à l’amenuisement des matières premières. Mais elle peut également avoir un impact financier. « Une pièce remise à neuf n’a pas le même coût qu’une pièce neuve. » constate, comme une évidence, une membre du groupe de travail.

Selon un rapport de la fondation Ellen McArthur, qui œuvre pour la promotion de l’économie circulaire, 700 milliards de dollars (environ 500 milliards d’euros) pourraient être économisés au niveau mondial dans le secteur des biens de consommation si l’économie circulaire était généralisée. En ce qui concerne les biens de consommation durable (lave-linges…),l’économie de matériaux pourrait s’élever à terme à 630 milliards de dollars (environ 450 milliards d’euros) rien qu’en Europe.

Les entreprises commencent à se rendre compte de l’intérêt de ce système. Xerox recycle maintenant 80% de ses imprimantes, et Hewlett Packard réutilise les composants électroniques de ses ordinateurs.

Renault pratique également le remanufacturing dans certaines usines, où moteurs, boîtes de vitesse et pompes à injection usagées sont reconditionnées pour être réutilisées sur des voitures neuves.

Des lave-linges qui marcheront mieux

 

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Entrée de l’usine SITL à Gerland. ©Rue89Lyon

Ces exemples ont achevé de convaincre le groupe de salariés de SITL. Selon eux, la qualité des produits seraient améliorées. « Les pièces sont plus fiables », explique une des membres du groupe de travail.« Avec des pièces neuves, il y a forcément un pourcentage de pertes, car certaines sont défectueuses, et on ne peut pas tout contrôler. En remanufacturing, les pièces ont déjà été testées sur le marché, donc on sait qu’elles fonctionnent, et elles sont toutes reconditionnées et remises aux normes. »

Un des arguments majeurs de leur plan est le savoir-faire de la main d’œuvre.

« L’avantage est que SITL produit déjà de l’électroménager, c’est notre métier », explique le salarié du bureau d’étude de FagorBrandt.

 

Grand Lyon et Rhône-Alpes soutiennent le projet des salariés… mais l’Etat ne dit rien

L’économie circulaire n’est pour l’instant pas encadrée par une loi. Un amendement à la loi sur la consommation de janvier prévoit simplement que le gouvernement remette un rapport au Parlement sur son développement et ses perspectives d’ici juin.

Mais les pouvoirs publics s’y intéressent de plus en plus. A tel point que le projet des salariés de SITL a reçu le soutien du Conseil régional de Rhône-Alpes et du Grand Lyon. Les présidents des deux institutions ont demandé au ministre du Redressement Productif, Arnaud Montebourg, d’intervenir en faveur du projet des salariés.

La région a également mandaté l’URSCOP (Union Régionale des SCOP) afin d’aider à monter le projet. Le projet de reprise par les salariés prenant, comme une évidence, la forme d’une coopérative.

Si le groupe de travail se sent soutenu par les pouvoirs publics, ils attendent de voir les résultats concrets, notamment en matière de financement « made in France ».

« Il faudrait que les beaux discours de Montebourg sur le maintien de l’activité en France deviennent réalité. » affirme une syndicaliste CGT. « Si on veut sortir d’une société jetable, il faut des investissements de l’Etat. »

Or, à ce jour, le ministre du redressement productif n’a toujours pas répondu à leurs appels, malgré une relance des salariés. Ceux-ci espèrent pourtant que l’Etat pourrait débloquer tout ou partie des huit millions d’euros d’investissement nécessaires à leur projet.

L’économie circulaire nécessaire mais pas suffisante

« Pour les salariés c’est un projet qui n’a rien d’évident. » tempère cette syndicaliste. Cela dépend du nombre d’appareils que l’on peut vendre. Un distributeur est intéressé par la revente de nos lave-linges. Or, le volume qu’il est prêt à acheter ne correspond qu’à 200 emplois. »

Il faudra en effet encore plusieurs mois avant que le remanufacturing soit opérationnel. En outre, le projet des salariés ne prévoit que la reprise de l’activité lave-linge. Ils ne sont donc pas hostiles à une reprise partielle par une autre société des activités voiture électrique et filtres à eau qui emploient plus d’une centaine de salariés.

De nombreux problèmes restent à résoudre, notamment la cession du terrain immobilier à un prix modeste, condition sans laquelle aucune offre de reprise ou de continuation n’est viable. Ce serait « en bonne voie » annonçait une syndicaliste il ya trois semaines. Mais selon Pierre Millet, Fagor serait prêt à céder le terrain à la condition que l’Etat lève ses promesses d’hypothèque sur le terrain. Or le PDG affirme que l’Etat semble se faire prier.

Se pose également la question de l’utilisation des marques. Car il faudra vendre ces machines à laver sous une marque connue du grand public, comme Fagor, Brandt ou Vedette.

« Pour l’instant, ils n’ont pas l’autorisation d’utiliser une marque, explique le PDG Pierre Millet. Or les lignes de production sont conçues pour un modèle de FagorBrandt. ».

Cela s’annonce délicat, quand on sait que la justice espagnole a rejeté la proposition de rachat des marques par Cevital, car le montant était jugé insuffisant.

Les salariés espèrent avoir gain de cause, notamment si l’administrateur judiciaire ou l’Etat intervient en leur faveur auprès de Cevital, qui pourrait reprendre une partie de FagorBrandt, à condition de réussir à en racheter les marques. Or, difficile pour SITL de négocier l’utilisation de marques tant que le repreneur de Fagor n’est pas connu. L’examen des offres de reprise de FagorBrandt a été repoussée au 11 avril par le tribunal de Nanterre.

Mise à jour le 16/03 suite au commentaire de Jocelyn Bleriot sur le montant des économies qui pourraient potentiellement être réalisées grâce à l’économie circulaire.

Mise à jour le 28/03 après le dépôt des trois offres de reprise et de la lettre d’intention.

Mise à jour le 29/03 suite au nouveau report du Tribunal de Commerce de Lyon.

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