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Le Raoul Collectif refait le monde en chantant

Un clan de cinq comédiens belges traque le sens de la vie au théâtre de la Croix-Rousse. En bons conteurs, ils font de leur premier spectacle commun, Le Signal du promeneur, un joyeux bazar métaphysique.

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Le Raoul Collectif refait le monde en chantant

Cissi Olsson
© Cici Olsson

Au début du recueil On n’y voit rien, le critique d’art Daniel Arasse reproche à une amie, Giulia, de ne pas vouloir « faire joyeusement de l’histoire de l’art ». Il regrette par exemple qu’elle ne décèle pas l’humour de Tintoret dans le tableau Mars et Vénus surpris par Vulcain. Pour qu’elle le comprenne bien, il lui rappelle « ce proverbe de la Renaissance », Serio ludere, – qui veut dire « jouer sérieusement » -, et « son goût pour le rire et le paradoxe ».

Avec Le signal du promeneur, les cinq comédiens belges du Raoul Collectif assènent ce beau proverbe latin à une trop large part du théâtre français, qui croit que pour être sérieux et parler de choses sérieuses, il doit se prendre au sérieux. Il en perd le goût du jeu, de peur d’en faire trop, d’en donner trop. Quelquefois, oui, les Raoul, appelons-les comme ça, en font trop. Mais au moins quelque chose d’inouï traverse le plateau chaviré de leur spectacle.

Tout droit sortis de l’école supérieure d’acteurs de Liège, Romain David, Jérôme de Falloise, David Murgia, Benoît Piret et Jean-Baptiste Szezot brûlent des questions existentielles par les deux bouts du non-sens et de la fantaisie. Pour tordre le cou à l’uniformité, ils s’improvisent guides dans la forêt du gai savoir sans tout maîtriser, et prennent chacun à leur tour la parole, sans hésiter à couper celle des autres.

 

Beethoven au bout du chemin

Le prologue à lui seul est une splendeur. Un morceau de bravoure délicat, révélateur du climat d’introspection un peu folle, que ces cinq gaillards sans dieu ni maître veulent instaurer sur une scène de théâtre. Le public est cueilli dans un noir total. Un barbu en bottes et veste de chasse s’introduit côté jardin avec sa lampe tempête. Un éclaireur, qui rameute bientôt de partout, des cintres, des coulisses, quatre congénères à loupiote, parvenus au bout d’une marche qu’on devine longue.

Opinant du chef en silence, ces chasseurs-cueilleurs d’idées se retrouvent au milieu de la clairière pour chantonner a cappella du Beethoven. Un discret frisson passe… et la parole déboule. Elle va slalomer, après bien des virages abrupts, entre des airs de piano, l’irruption d’un chevalier bravache dans son armure, un arbre chétif en pot, des mottes d’herbe tombées du ciel, et dérouler quelques récits extraordinaires.

Devant l’adversité (la crise, l’Europe technocratique, la violence symbolique des villes, la fin du monde végétal… toute cette sorte de chose), les Raoul auraient pu jouer cinq jeunes hommes en colère. Chacun préfère raconter à l’avant-scène une histoire, sans rapport a priori avec la précédente.

 

Burlesque wallon

Toutes mises bout à bout, ces histoires, rognées sans ménagement ou commentées en direct, inspirées de près ou de loin par Fritz Zorn alias Fritz Angst, Christopher McCandless, Jean-Claude Romand, Mike Horn, ou un savant fou qui depuis plus de trente ans traque le dernier ptérodactyle en vie au fin fond du Mexique, alimentent et articulent un même discours fleuve et fantasque sur ce que c’est qu’être soi dans la masse de tous, sur l’accord du singulier avec le pluriel, sur la liberté admise ou contrainte de l’individu dans la société.

Les Raoul les proclament sur tous les tons, sur une large gamme de burlesque. Au passage, rarement la langue française sonne aussi bien, claque aussi nettement qu’avec ce léger accent wallon.

A plusieurs reprises, sans hésiter, ils brisent la litanie des monologues comme un enfant casse son jouet, délaissent la partition en solo pour mélanger plusieurs lignes musicales, et composer une série de fugues en avant. Elle culmine dans la relecture parodique du procès de Jean-Claude Romand.

Si, comme lui, les Raoul ne savent peut-être pas encore très bien quels hommes ils sont, rien, aucune norme, aucune (auto)censure, ne les empêche de se poser des questions, et d’y répondre dans un grand éclat de rire. Ou, plutôt, un hymne à la joie.

 

Infos pratiques

Où et quand voir Le Signal du promeneur ?

Du 13 au 15 février au théâtre de la Croix-Rousse, Lyon 4e.

Les 15 et 16 avril au Forum Meyrin, à Genève.


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