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29/03/2024 date de fin
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Un an dans l’enfer de la comédie française

68 productions estampillées comiques pour le seul exercice 2013 : pas de doute à avoir, l’humour est plus que jamais la valeur refuge d’un cinéma français de plus en plus replié sur ses chapelles créatives. De catastrophes industrielles en aberrations artistiques, le bilan de l’année assène des leçons très, très désagréables.

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Un an dans l’enfer de la comédie française

68 films, dont au moins 60 totalement dispensables, c’est beaucoup. C’est trop. C’est beaucoup trop. Artistiquement, rien ne justifie un tel déferlement. Les auteurs sont en panne d’inspiration, les réalisateurs bridés dans leurs velléités. Des gloires déjà fanées (Clovis Cornillac, José Garcia, l’increvable François Berléand) aux jeunes pousses déjà essorées (Eric Elmosnino, Ary Abittan, Raphaël Personnaz) en passant par les djeunz déjà ringards (Norman, Kev Adams, Max Boublil), les acteurs n’ont peut-être jamais autant été interchangeables d’un rôle à l’autre. Ils n’interprètent plus : ils se contentent d’être là.

Quant aux actrices… Avec ce qu’on leur donne à bouffer niveau défi d’acting, il ne faut pas s’étonner que la performance de l’année revienne à Bernadette Lafont dans l’horrible Paulette. Ma fille, tu seras faire-valoir, rêveuse évanescente, pute au grand cœur, working girl qui découvre la life ou vieille acariâtre. C’est tout. Ne fais pas comme si t’avais le choix, tu seras gentille.

En 2013, l’humour cinématographique français n’a pas d’identité ni même d’existence propre. Il se nourrit de toutes les influences qui traînent, aussi datées soient-elles. Dès qu’il tente de s’approprier l’air du temps, il le rend automatiquement ringard. Son incompréhension chronique des enjeux sociopolitiques du moment force à détourner le regard à chaque amorce de discours.

Les rares rescapés de ce carnage (Dupontel et Tavernier en tête) s’en sortent sans trop de déshonneur à la grâce de leur maîtrise du timing comique. On l’aurait presque oublié : pour qu’un gag fonctionne au cinéma, il faut qu’il soit un minimum bien mis en scène, cadré, interprété et monté. Autant de données qu’un nombre dangereusement croissant de réalisateurs dégage d’un revers de la main au nom du « décalage », principe adoubé avec volupté par une critique mondaine qui ne comprend pas comment le public, sûrement bien trop bête, ne se rue pas en masse applaudir ses poulains parisiano-parisiens – voir Tip Top en salle et entendre une mouche voler pendant toute la séance.

Soyons optimiste, quitte à verser dans la généralité : la médiocrité vient de la surabondance, et la surabondance vient des habitudes d’une production nationale engourdie par la frilosité, l’absence de prise de risques, et confortée dans ses choix par le doux, si doux souvenir de succès millionnaires à même d’attirer les capitaux télévisuels – les « décalés », eux, peuvent toujours compter sur l’avance sur recettes du CNC. Le système français n’est plus repu à force de se mordre la queue, à présent, il la boulotte avec voracité sans se poser de questions.

Bien sûr, la France n’est pas seule dans ce cas : la déréliction du rêve européen pousse tous ses amis de la bannière au cercle étoilé à la production de comédies de plus en plus recentrées sur leurs particularismes nationaux, voire locaux. Si exception culturelle il y a, c’est bien dans cette profusion dispendieuse, à grosses pertes, entièrement bâtie sur une généralité autrement plus dangereuse (comédie = brouzoufs) dont les limites viennent de voler en éclats.

Choc des cultures et / ou des générations, comédies romantiques, adaptations de best-sellers, ego trips mal digérés (coucou, Nicolas Bedos et Guillaume Galienne), tous ces genres usés jusqu’à la corde et trop rarement réfléchis se sont quasiment tous fédérés cette année autour de la MÊME structure : le personnage principal (re)découvre une nouvelle vie, y goûte avec concupiscence, fait une grosse connerie (généralement, un mensonge) qui remet tout en perspective, offre amende honorable et love is all.

N’oublions pas la morale – très important, la morale, surtout quand on se targue d’inclure des personnages “borderline“ : l’argent ne fait pas forcément le bonheur, même si c’est quand même cool (Paris à tout prix, Un prince (presque) charmant – scénarisé par le pied gauche de Luc Besson, celui qui a encore une conscience politique) ; le métal, c’est quand même vachement mieux avec de la pop dedans (Pop Redemption avec Julien Doré) ; la famille c’est quand même super, au-delà de nos différences (Sous le figuier, Une chanson pour ma mère, Demi-sœur…) ; la crise de la quarantaine / cinquantaine, ça ne mange pas de pain (Le Grand Méchant Loup, le pamphlet droitier décomplexé Le Cœur des hommes 3) ; les vieux racistes sont finalement plutôt sympas, surtout quand ils vendent du shit (Paulette, 12 ans d’âge)…

Autant d’enseignements édifiants hérités d’une vision centriste molle (malgré la caution “de gauche“ autoproclamée de films comme La Fille du 14 Juillet ou l’inénarrable Doutes), qui sourit à l’intolérance des beaufs comme aux excentricités des marginaux tant que tout le monde finit par rentrer dans la norme.

Cette détestation (inconsciente, restons optimiste) de tout ce qui est différent agit comme un rouleau-compresseur sur les esprits a priori libres. Alain Chabat n’est plus que l’ombre de lui-même dans Turf et Les Gamins, Joey Starr, avec son combo Max / La Marque des Anges (la tentation d’inclure ce dernier film dans le rayon “comédie“ était énorme), donne la sinistre impression qu’il n’en a strictement plus rien à foutre, Eric Judor entache sa réinsertion amorcée avec Platane et les films de Quentin Dupieux en se commettant dans le pas possible Mohamed Dubois, Corinne Masiero est humiliée avec une hargne quasi vengeresse dans Les Reines du Ring

Comme si, désormais, la comédie française cherchait à punir tous les impudents qui auraient osé, un jour, ne pas être dans le rang.

Les fameux décalés, eux, se satisfont uniquement de l’entre-soi. Ils n’ont même pas besoin des éructations hallucinées de Frédéric Bonnaud, à deux doigts d’insulter les lecteurs des Inrocks pour crime de lèse-majesté (ne pas avoir suffisamment honoré Tirez la langue, mademoiselle et Tip Top en salles obscures) dans un édito de troublante mémoire. Ils n’existent que par et pour eux-mêmes.

La meilleure démonstration de cette autarcie reste encore les films se déroulant dans le milieu du cinéma : Queen of Montreuil, Le Prochain Film, Chez nous c’est trois ou même Les Coquillettes transforment les spectateurs en figurants curieux, hostiles, et les artistes en petites choses précieuses voguant bon gré mal gré au-dessus, bien au-dessus de la plèbe.

Côté blockbusters, l’envie prend d’applaudir la révision à la baisse des budgets indécents, jusqu’à ce que l’un de ces grotesques mastodontes n’émerge devant nos yeux. Qui d’un Boule & Bill dans lequel Marina Foïs, en véritable mère courage, lutte vaille que vaille pour sauver ce qui peut encore l’être, ou d’un Eyjafjallajökull autant adepte du défonçage de voiture de luxe que des grimaces simiesques de Dany Boon (l’élément le plus cher n’étant pas forcément celui que l’on croit – dédicace à Vincent Maraval).

Fort heureusement, une maigre poignée de films verse dans la résistance. Quai d’Orsay et 9 mois ferme, en dépit de leurs envahissants défauts, remontent à ce point la pente qu’ils donneraient presque envie de s’agenouiller de gratitude. Au bout du conte assoit presque crânement la domination impériale du tandem Jaoui / Bacri sur la caste des dialoguistes français. L’Ecume des Jours et Attila Marcel sont des œuvres globalement ratées, mais qui, au moins, expérimentent tous azimuts et réinventent la patine rétro chacun à leur manière.

Si l’on fait un gros effort, on peut essayer d’oublier que Fonzy (de loin le meilleur film de sa réalisatrice) est un remake trèèèèèès appliqué de Starbuck. Le vaguement sympatoche Joséphine peut faire illusion grâce à son montage, mais ne supporte pas une seconde vision. De guerre lasse, le spectateur grappille ici et là quelques fugaces secondes de cinéma avant de s’effondrer, le cortex anesthésié.

Sacrifié sur l’autel de sa rentabilité supposée, l’humour national n’est plus, ou si peu. La comédie française fait sienne l’actuelle dictature du LOL, de la blagounette conçue pour tourner sur Youtube et faire marrer ses faux amis de réseaux sociaux. La sortie, en janvier, du définitif Pas très normales activités de Maurice Barthélémy aurait dû sonner l’alarme sur la foi de son seul concept – s’emparer d’un phénomène de la pastille web (le cas Norman), et observer ce qu’il se passe quand on lui donne une heure et demi en lieu et place de ses usuelles cinq minutes.

L’abominable résultat n’a pas servi de leçon, il s’est contenté de rejoindre la cohorte des coups d’épées humoristiques dans l’eau de cette année désastreuse.

Le planning des sorties de 2014 comme les résultats des commissions d’avance sur recette de 2013 laissent entrevoir un léger fléchissement de la production comique, sans cependant pleinement accuser le coup de cette overdose. Les retours de Riad Sattouf (avec Jacky au royaume des filles) ou même du binôme Thomas N’Gijol / Fabrice Eboué à la réalisation (Le Crocodile du Botswanga) laissent même émerger des lueurs d’espoir. Restons optimiste.

 

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