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A Roanne, généralistes, citoyens s’allient pour lutter contre les déserts médicaux

Les déserts médicaux altèrent aussi bien l’accès aux soins des patients que les conditions d’exercice des médecins généralistes. A Roanne, ville particulièrement touchée, généralistes et citoyens ont décidé de travailler ensemble pour lutter contre ce fléau.

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Le manque de médecins ne touche pas que les villages. La preuve à Roanne, ville de 36 000 habitants à l’ouest de Saint-Étienne, dans la Loire. Le territoire est colorié en noir sur la carte de l’ARS (Agence régionale de santé) consacrée aux déserts médicaux. En 2010, la ville comptait 1 médecin pour 1200 habitants, soit trois fois moins que la moyenne française. Une situation qui altère aussi bien l’accès aux soins des patients que les conditions d’exercice des généralistes. Pour absorber la demande, les toubibs sont contraints de multiplier les actes et de réduire la durée des consultations, au détriment des patients.

Avec 30% de la population vivant sous le seuil de la pauvreté, une population qui va en diminuant et en vieillissant, et des taux de suicides et d’alcoolisme chronique élevés, on comprend que le Roannais soit boudé par les jeunes médecins souhaitant s’installer.

Ce problème, Benoît, médecin généraliste, le connaît bien pour avoir dédié sa thèse au phénomène de la désertification médicale sur le territoire.

Tetiete-deserts-medicaux© Emmanuel Daniel

 

Droit dans le mur

Pourtant, cela ne l’a pas dissuadé de s’installer dans la région avec sa conjointe, elle aussi généraliste. Mais plutôt que de subir ce déficit de médecins, ils ont décidé de saisir le problème à bras le corps :

« Si on s’installait ici sans rien changer, on allait droit dans le mur ! », s’exclame Lisa, la compagne de Benoît.

En effet, en 2010, Benoît a constaté que 40% des généralistes en activité dans les alentours s’apprêtaient à partir à la retraite ou à « dévisser leur plaque », fatigués par des conditions de travail difficiles. Alors, avec des confrères, le couple décide de créer l’ « association de la médecine générale du roannais », qui ambitionne de maintenir et de faire venir de nouveaux praticiens sur place.

Ce travail, « c’est aux institutions de le faire, mais elles ne le font pas, alors on le fait à leur place », s’énerve Lisa. Et ils ont du pain sur la planche, comme l’a remarqué Benoît lors de sa thèse :

« 80% des internes qui viennent en stage dans le Roannais ont une image négative du territoire.»

Alors, pour le rendre attractif, ils ont décidé de jouer la carte de la convivialité. L’association organise des soirées pour que les généralistes des alentours puissent se rencontrer et rompre avec la solitude de leurs cabinets. Un temps d’échange qui permet aux praticiens de partager leurs inquiétudes, et ainsi de prévenir le « burnout » (épuisement professionnel), susceptible de clairsemer encore davantage leurs rangs.

 

Un lieu d’échange

Mais c’est à destination des jeunes médecins qu’ils ont concentré leurs efforts. Pour encourager les internes à venir en stage dans la région, ils ont obtenu l’ouverture d’une maison des internes. Pour seulement 210€ par mois, cinq d’entre eux bénéficient d’une petite villa avec un grand jardin. Un atout qui a contribué à convaincre Céline, interne en médecine générale, une des locataires de venir dans la région :

« Ça m’évite de faire 2 heures aller-retour pour aller à Saint-Étienne et de chercher un logement. »

Marie-Laure, sa colocatrice, met en avant les bénéfices du lieu en termes de sociabilisation :

« On se sent vraiment accueillis. Ce n’est pas forcement le cas lors des autres stages. Là il y a un apéro du terroir à notre arrivée où chacun ramène un produit de la région. Et puis la maison permet de discuter entre internes de sa journée et ça fait du bien. Si ça ne tenait qu’à moi, je resterais ici », assure celle qui ira pourtant rejoindre son mari à Lyon à la fin de son internat.

Plus qu’une colocation, la maison des internes est le QG des généralistes du coin, « un endroit où ils se sentent chez eux », affirme Lisa. Médecins installés et internes s’y rencontrent.

« Ça permet aux médecins de trouver des remplaçants, ce qui n’est pas toujours facile ».

L’association a également œuvré pour améliorer les conditions de travail des médecins en obtenant une maison de santé pluridisciplinaire qui ouvrira en 2015 et permettra à plusieurs médecins de travailler ensemble. Un atout de taille car c’est la peur de l’isolement qui retient nombre de praticiens de s’installer dans des déserts médicaux. Des négociations sont également en cours pour ouvrir un pôle d’enseignement décentralisé à Roanne afin d’éviter qu’élèves et professeurs soient contraints de se déplacer à Lyon ou Saint-Étienne pendant leurs stages.

 

Implication citoyenne

A la hauteur de leurs moyens, les membres de l’association tentent donc de lutter contre la désertification de cette région. Et pour Lisa, l’obstacle n’est pas infranchissable.

« Il suffirait qu’on attire une dizaine de médecins pour que la situation s’améliore… A condition que les patients changent leurs habitudes (…) Certains patients se comportent comme des clients, des consommateurs de soins ».

Ils ont donc décidé d’associer les patients à leur démarche afin de travailler ensemble à une amélioration de la situation qui profiterait à tous.

« Le défi à relever est immense, mais nous voulons le relever avec les citoyens », lance Lisa.

Ainsi, 1/6 des membres de l’association ne font pas parti du corps médical. Les habitants ont par exemple aidé à l’emménagement de la maison des internes et ont fourni la plupart du mobilier, raconte-t-elle :

« Un des membres s’est même proposé de nous faire un nouveau site Internet pour nous aider ».

 

Inverser le rapport de force

En outre, des événements sont organisés en partenariat avec des organes citoyens comme le foyer rural ou le comité local de développement afin de sensibiliser le grand public aux problématiques médicales de la région. Un échange aussi utile aux médecins qu’aux patients, comme l’estime Brigitte, une Roannaise très impliquée dans la vie associative locale :

« C’est un problème qui nous concerne tous. Il faudrait être aveugle pour ne pas le voir. Ces soirées permettent de briser la barrière entre sachant et non sachant. »

Selon elle, ces rencontres permettent de faire des citoyens des « acteurs » de leur santé.

Un constat partagé par Maud, cofondatrice de l’association :

« D’abord, ça fait du bien de rencontrer des gens autres que des médecins. Ça permet de mieux les comprendre. Trop de parents amènent leur enfant qui a de la fièvre depuis moins de 48 heures. J’ai pu discuter avec eux et j’ai compris leur inquiétude. Je leur ai expliqué, et au bout de 2 ans je vois la différence ».

Cette généraliste aimerait également que les élus et les institutions médicales, empêtrés dans des « luttes de pouvoir », s’impliquent davantage dans ce combat. Mais aussi les patients :

« Pour changer le rapport de force, il faudra que la demande vienne des citoyens. Ils sont conscients de la situation et ne veulent pas nous voir partir. Ils ont donc tout intérêt à se battre pour que leur médecin reste ».

Emmanuel Daniel est journaliste. Porté par sa curiosité, il réalise, depuis juin, un Tour de France des Alternatives, pour « observer des alternatives concrètes dans des domaines aussi variés que l’économie, l’écologie, l’éducation, la politique ou la culture ». Fin juillet, son voyage l’a conduit en Rhône-Alpes. Pour suivre son aventure, rendez-vous sur sa page Facebook.


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