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29/03/2024 date de fin
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Tabassages et brimades sur des détenus relevés à la prison de Saint-Quentin-Fallavier

Un rapport confidentiel des services pénitentiaires, rendu public ce jeudi par l’Observatoire international des prisons (OIP), révèle « des maltraitances répétées » de détenus entre 2009 et 2010 à la prison de Saint-Quentin-Fallavier (Isère), à une trentaine de kilomètres de Lyon. Le Défenseur des droits dénonce les entraves de l’administration pénitentiaire et demande des comptes à la ministre de la Justice.

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Alertée depuis longtemps par des prisonniers sur ces violences, l’Observatoire international des prisons (OIP) vient de mettre la main sur un document accablant dont Rue89Lyon a eu copie. Il s’agit d’un rapport de l’Inspection des services pénitentiaires (ISP) datant de mars 2011 qui est censé rester confidentiel.

Violences, usages disproportionnés de la force, falsifications de procédures disciplinaires, sanctions occultes et brimades sont imputés directement par l’ISP à des surveillants, entre avril 2009 et juillet 2010.

Jusque là, les faits dénoncés par l’OIP au centre pénitentiaire de Saint-Quentin-Fallavier ne s’appuyaient que sur des témoignages de détenus. Comme ce courrier de juillet 2009 :

« Ce qui se passe au centre de détention de Saint-Quentin-Fallavier est intolérable car j’ai pu constater de nombreux abus des chefs. C’est pourquoi cette fois, je me permets de dénoncer un système mis en place par les chefs dont les méthodes frôlent celles des voyous. Normalement on devrait sortir de prison réinséré et non avec des envies de vengeance, mais ils nous poussent à bout jusqu’à ce qu’on craque, c’est pourquoi je souhaite être transféré. »

En s’appuyant sur ce rapport confidentiel de l’ISP , l’OIP pointe la « maltraitance de détenus par un groupe de surveillant ». Treize agents exactement : quatre membres de l’équipe de direction, quatre lieutenants (dont le chef de détention), quatre premiers surveillants et un surveillant. L’association dénonce également le silence de l’administration et les sanctions limitées.


Maîtrise d’un détenu à la prison de Saint-Quentin-Fallavier en 2013. (Image de vidéosurveillance fournie par l’OIP)

 

Coups de poing, traumatisme crânien, fouilles musclées…

Parmi les dizaines de témoignages de détenus de faits de violence, l’inspection n’a pu en vérifier que quatre, faute de certificats médicaux pour les autres.

Pour l’un des détenus, il a été établi qu’alors qu’il s’impatientait pour aller en promenade, le ton est monté avec un surveillant :

« Le surveillant s’est alors emporté (…) et lui a mis un coup de boule », raconte un autre détenu témoin de la scène.

Il s’en est sorti avec une fracture du nez et un traumatisme crânien.

Dans son rapport, l’ISP fait aussi mention du cas d’Ahmed, qui raconte qu’après une réflexion qui a déplu à un surveillant, celui-ci est entré dans la cellule accompagné de deux collègues :

« Il m’a fait des prises comme un judoka. Il posait son pouce sur mon nez, me serrait au niveau du cou. Il m’a porté plusieurs coups au niveau des côtes, dans le dos. Il m’a dit « je vais t’apprendre à vivre ». Par la suite, (les surveillants sont) venus filmer avec la caméra (…) J’ai eu des coups de poing, des coups de pied. »

Quant à Rachid, dont les violences subies ont là aussi été avérées par l’ISP, il raconte dans un courrier adressé à l’OIP en 2009 :

« 4-5 agents m’ont sauté dessus car soi-disant j’avais levé la main sur l’agent de fouille. C’est faux, et d’ailleurs le second agent fouille atteste le contraire et donne la même version que moi (…) Mais pour justifier les blessures et coups qu’ils m’ont porté, fallait bien qu’ils mentent dans leurs rapports. »

 

Brimades : « On se croit à Guantanamo »

Le rapport de l’ISP dénonce par ailleurs des brimades qualifiées de « traitements dégradants ». Face au manque de preuves, l’inspection n’a pu vérifier qu’un seul cas de figure. Mais comme l’écrit l’OIP :

« Nombre de prisonniers du quartier centre de détention (CD) ont rapporté à l’ISP des insultes, menaces pressions et chantages par le lieutenant responsable du CD et son adjoint qu’ils surnommaient « le Shérif » ».

Si bien qu’au printemps 2010, les détenus auraient lancé un mouvement collectif, en refusant notamment de regagner leurs cellules après la promenade. Mais ils ont aussi fait circuler un texte signé par plus de 60 d’entre eux, et dont voici un extrait :

« Tous les problèmes qu’il y a en détention au CD de Saint-Quentin-Fallavier sont dus (au lieutenant) et au brigadier Shérif. Tous les détenus se manifestent contre tous les problèmes qu’il y a. On veut que ça s’arrête un jour. Ce n’est plus un centre de détention, on se croit à Guantanamo. »

 

En caleçon dans la cour de promenade

Dans le quartier disciplinaire, aussi appelé « mitard », des détenus racontent avoir vécu des humiliations et privations. Ils étaient envoyés en caleçon dans la cour de promenade, parfois en pleine nuit, ce que l’Inspection qualifie, là aussi, de « traitements dégradants ». Dans le rapport de l’ISP, plusieurs expliquent par ailleurs avoir été privés de tabac, de promenade, de matelas et de draps. Une personne ayant travaillé au sein de l’établissement le reconnaît :

« C’était un peu une zone de non-droit, en ce sens que les détenus ne disposaient pas de tout ce à quoi ils avaient le droit : correspondance, tabac, couchage par terre (…) les interventions étaient mal gérées, il y avait des bruits qui me remontaient relatifs à des violences illégitimes ou à des brimades. »

Le rapport de l’Inspection des services pénitentiaires relate par ailleurs des interventions « injustifiées » d’agents équipés de tenues pare-coups sur des prisonniers, qui se traduisaient souvent par des passages à tabac.

 

Comptes-rendus falsifiés et faux témoignages

Pourtant, les témoignages de personnels de la prison reconnaissant les faits sont rares. Une solidarité semble s’être installée entre les surveillants. L’inspection a ainsi identifié des comptes-rendus falsifiés, des destructions de preuves et pressions entre agents pour que soient rédigés de faux témoignages.

Sylvain Gauché, avocat au barreau de Grenoble, représentant de l’OIP ne veut cependant pas enfoncer ceux qui se sont tus :

«  C’est compliqué pour les surveillants de dénoncer. S’ils l’ouvrent trop, leur carrière est menacée, ils se retrouvent placardisés. »

La direction de l’établissement n’a pas agit non plus. Pourtant, dans le rapport, de nombreux éléments laissent à penser que celle-ci était au courant de dérives. Pour l’OIP, le constat est simple : la direction a couvert des agissements dont elle n’a pas pris la mesure de la gravité.

« L’ISP estime que « le rôle et la responsabilité de l’encadrement apparaissent comme particulièrement importants » dans l’« absence de repères professionnels » et la perte de repères déontologiques » de certains agents de centre pénitentiaire. »

L’un des membres de la direction reconnaît d’ailleurs une part de responsabilité devant l’ISP :

« Le fait de prononcer une sanction en ne se fondant que sur le compte-rendu professionnel et le compte-rendu d’incident d’un seul agent pouvait donner un sentiment d’impunité aux agents. »

Par ailleurs, alors que l’administration pénitentiaire a l’obligation d’informer le parquet des incidents graves survenus dans la prison, l’ISP relève des cas où cela n’a pas été fait, notamment par le directeur. Si bien que l’inspection conclut à une « volonté de ne pas informer sa hiérarchie et le parquet d’une suspicion de faits de violences ».

 

« Rien n’a été fait pour que ça ne se reproduise pas »

Si la direction de la prison de Saint-Quentin-Fallavier n’a pas informé sa hiérarchie au sein de l’Administration pénitentiaire de la situation, d’autres l’ont fait. L’OIP avait en effet alerté la Direction inter-régionale des services pénitentiaires (DISP) dès juin 2010. Des syndicats de surveillants auraient eux aussi tenté de tirer la sonnette d’alarme, comme le rappelle Pascal Rossignol, secrétaire général de l’union régionale de l’UFAP/UNSA :

« On avait alerté la hiérarchie sur un certain nombre de faits. Il y avait beaucoup de difficultés de management dans cet établissement. On ne connaissait pas tous les détails mais on savait qu’il y avait des soucis. »

Pourtant, l’administration pénitentiaire n’a pas réagi. Ce jeudi, la direction centrale n’était pas joignable. Devant ce silence, et avec l’aide d’un sénateur, l’OIP a saisi la Commission nationale de déontologie de la sécurité (CNDS), depuis intégrée dans les missions du Défenseur des droits. C’est ce dernier qui a demandé au ministère de la Justice d’engager une enquête de l’Inspection des services pénitentiaires. Puis, à partir de l’enquête de l’ISP, le Défenseur des droits a rendu une décision en mars 2013, ne demandant pas de sanctions supplémentaires car les faits sont prescrits :

« Au regard des délais écoulés depuis la survenance des faits, imputables en grande partie à une transmission tardive des éléments demandés à l’administration pénitentiaire, rendant difficile la conduite d’investigations supplémentaires et des mesures individuelles déjà prises, le Défenseur des droits ne demande pas d’autres sanctions. »

 

Des sanctions légères malgré un « système clanique »

Outre la lenteur des démarches, ce qui surprend le plus l’OIP c’est la légèreté des sanctions. Seul un des surveillants cités dans le rapport a écopé de trois mois de prison avec sursis pour le coup de boule ayant entrainé un traumatisme crânien, que nous relations plus haut. En 2011, l’ISP a fait des préconisations  : pour neuf des treize agents par exemple, elle demande « une simple lettre d’observation ». Un membre de la direction, pour qui un conseil de discipline était demandé, a finalement lui aussi reçu une simple lettre. A la fin de l’année 2011, trois membres de la direction sont mutés. Mais certains retrouvent des fonctions d’encadrement à la tête d’autres prisons.

En ce qui concerne les sanctions disciplinaires, Pascal Rossignol, qui ne veut pas que l’on jette l’opprobre sur l’ensemble de la profession, glisse :

« Le disciplinaire n’est pas une science exacte. Les sanctions peuvent parfois paraître légères, effectivement. »

Quant au chef de détention, le personnage clé autour duquel s’était mis en place « un système clanique », comme l’appelle l’ISP, il a été muté en septembre 2011, puis a reçu un blâme… avant d’être réintégré à son poste à Saint-Quentin-Fallavier en novembre 2012. Et d’être suspendu en avril 2013, pour une autre affaire de violence. En effet, trois des treize agents mis en cause par l’ISP ont été placés en garde à vue pour de nouvelles allégations de violences sur un détenu. Ils on été remis en liberté depuis mais suspendus de leur fonction. L’enquête se poursuit toujours.

Une répétition qui interpelle l’avocat Sylvain Gauché :

« On ne s’explique pas ce manque de sanction, à tous niveaux. S’il y avait eu un recadrage disciplinaire, on n’en serait pas là. Ce qui est vraiment préoccupant, c’est que ça a pu perdurer, que c’est devenu un mode de fonctionnement et que rien n’a été fait pour que ça ne se reproduise pas. »

 

Le Défenseur des droits dénonce des entraves de l’administration pénitentiaire

Ce jeudi soir, le Défenseur des droits (DDD) a réagi à la révélation d’un rapport confidentiel de l’Inspection des services pénitentiaires. Il dénonce des entraves de l’administration pénitentiaire dans l’enquête menée par les inspecteurs. Dans sa décision du 26 mars 2013, le Défenseur des droits expliquait en effet qu’à cause d’une « transmission tardive des éléments demandés à l’administration pénitentiaire rendant difficile des investigations supplémentaires », il ne demandait pas de sanctions supplémentaires.

« Le DDD a donné jusqu’à la mi-juillet à la ministre (de la Justice, Christiane Taubira) pour répondre tout particulièrement en ce qui concerne les carences de l’administration pénitentiaire qui ont entravé la mission de contrôle assignée au Défenseur des droits. Au-delà de ce délai, le DDD utilisera tous les moyens que lui accorde la loi », prévient son cabinet.

 

> Article mis à jour le 5 juillet à 11h20, suite à la réaction du Défenseur des droits.

 

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