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Laisse pas traîner ton fils : des mères contre la mauvaise image des banlieues

L’Université Populaire de Parents (UPP) de Saint-Priest, un groupe de « mamans chercheuses », vient de clore une étude cherchant à cerner l’image des quartiers populaires sur les familles qui y habitent. Pour éviter d’être taxés de « parents démissionnaires », certains parents gardent par exemple leurs enfants à la maison, portant un regard sévère sur les autres. Rencontre.

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Deux « mères-chercheuses » de l’Univeristé populaire des parents à Saint-Priest. Crédit : Adeline Charvet.

Rendez-vous à la maison de quartier François Mansart, à Saint-Priest, quartier Bel Air, classé zone urbaine sensible (ZUS). On se sent ici un peu loin de la mairie centrale ou de la vie qui grouille sur le marché. Plutôt sous l’effet d’une ambiance en bout de ligne de bus. Il y a du béton, des pavés d’immeubles, c’est vrai. Même si résumer le quartier à cela, c’est faute de connaître le coin. Dans cet îlot petite enfance, coloré à l’intérieur, un groupe de femmes attend la visite de la journaliste.

Sonia, Lamria, Maria, Nassima, Lessia, Saoucen, Jennifer, venues de plusieurs quartiers de la ville, forment l’Université populaire des parents de Saint-Priest. Un dispositif conduit par l’association des collectifs enfants-parents-professionnels (Acepp) et financé par la Politique de la Ville, via L’Agence nationale pour la cohésion sociale et l’égalité des chances (Acsé), la Ville et le Conseil général.

Le concept : un universitaire s’associe aux parents pour mener une recherche sur une question qui les préoccupent. La motivation de ces femmes, la plupart sans diplôme et issues de l’immigration, à se rapprocher de cette « université » ? Echanger, sortir du foyer, réfléchir à leur rôle, leur place dans l’éducation de leur enfant face à la société, à l’école, aux institutions.

Ne plus être sur la touche. Parmi elles, Maria Mata Marin, 45 ans, cinq enfants entre 7 et 21 ans, s’engage toute entière quand elle aborde le sujet sur lequel a choisi d’enquêter son UPP depuis 2009 :

« Au départ, nous avons mis nos idées, nos inquiétudes en commun. Plusieurs thèmes sont sortis : diversité culturelle, relation parent-enfant, surconsommation, délinquance, éducation, médias… Mais ce qui nous a semblé le plus important, c’est l’image que l’on se fait des quartiers ».

 

Le pied de grue devant Auchan

Max Sanier, sociologue de l’IEP de Lyon – attaché au lien entre culture et social -, chargé d’accompagner le groupe de l’UPP dans sa recherche, complète :

« Elles trouvaient très compliqué de cumuler des difficultés économiques, d’habiter dans un quartier de logements sociaux, d’êtres issues de l’immigration. Très vite, l’idée de la stigmatisation de leurs enfants et de leurs difficultés à l’école est venue ».

Car les tours, les familles nombreuses, les parents « démissionnaires » de l’éducation de leurs enfants… C’est le reflet que les mèress-chercheuses saisissent de leur quotidien dans les médias. Le sujet est trouvé : on pense généralement que les familles des milieux populaires, souvent avec des origines culturelles étrangères et diverses, sont incapables d’éduquer correctement leurs enfants.

Sur quoi se basent ces représentations négatives et quels effets ont-elles sur l’éducation et l’image que se font les familles d’elles-mêmes ? Le groupe s’attèle au protocole porté par le sociologue pour trouver des pistes. Timides ou très loquaces, elles utilisent leurs relations, font le pied de grue devant Auchan ou à la médiathèque pour poser leurs questions aux habitants.

« Qu’est ce qui vous vient en premier à l’esprit quand on vous parle d’un quartier populaire de banlieue ? »

Ou encore :

« Que pensez-vous de l’éducation que les parents y donnent à leurs enfants ? ».

Les représentations sont, sans surprise, majoritairement négatives. L’environnement urbain terne, le chômage, le sentiment d’insécurité sortent en premier dans les réponses. Avec des nuances, car 80% des personnes interrogées aiment leur quartier et trouvent que les relations humaines y sont positives.

 

« Si vous laissez votre enfant dehors, il va devenir une racaille »

A Saint-Priest. Crédit : Adeline Charvet.

Quid du terreau de ces représentations ? Maria a des éléments de réponse :

« On pensait que c’était les médias qui cassaient l’image des quartiers, pour tout le monde. Mais ils jouent surtout un rôle auprès des gens des quartiers mixtes ou aisés. Par contre, dans les quartiers populaires, les habitants s’inspirent de leur vécu et se jugent entre eux ».

Car une majorité des réponses aux entretiens formule des jugements très critiques sur la façon dont «les autres » éduquent leurs enfants.

« J’entends, si vous laissez votre enfant dehors, il va devenir une racaille, un délinquant. Je vois des parents changer leur façon de faire de peur qu’on ne parle d’eux comme des parents démissionnaires. Alors, ils deviennent virulents envers ceux qui les laissent jouer à l’extérieur. Et ils achètent une console pour que leur enfant reste à la maison », témoigne Maria.

Max Sanier, conscient que le contexte – notre entretien – aura renforcé les propos dans ce sens, ajoute :

« Il y a une obsession par rapport aux enfants sur le risque qu’ils subissent de mauvaises influences. Ce qui est frappant est que bien éduquer ses enfants, c’est être derrière eux. Avec un regard très sévère sur les voisins de pallier selon l’idée que tous les problèmes viendraient de les laisser sortir » .

Ce qui tracasse les mamans de l’UPP est de voir les parents passer pour seuls responsables. Surtout que le point de vue « de l’extérieur », sur les quartiers populaires, est inverse, imagine Maria :

« Les gens des quartiers aisés pensent que l’échec scolaire est dû à l’environnement, pas à l’éducation alors que dans les quartiers populaires, la réussite est associé au fait de ne pas laisser son enfant dehors et d’être strict là-dessus ».

 

« Maintenant, on ose prendre un rendez-vous avec un enseignant »

Mais pour Maria, pas question de changer la liberté qu’elle laisse à ses enfants, qu’elle estime basée sur la confiance :

« La famille est montrée du doigt quand l’enfant ne réussit pas alors qu’il existe une somme de facteurs ; c’est pour ça qu’il faut qu’un travail soit ouvert entre tous les acteurs, parents, enseignants, etc. ».

« L’éducation semble le point essentiel même si on sait que l’ascenseur social ne fonctionne pas », pose Max Sanier, comme une enclume. Les « mères-chercheuses » refusent cette fatalité très présente dans les quartiers :

« Avant, on avait l’impression de recevoir beaucoup de reproches. Maintenant, on ose prendre un rendez-vous avec un enseignant. On se sent sur la même longueur d’onde et on peut échanger dans le respect. Que j’aie fait des études ou pas, ça ne change pas, on a l’impression d’être pris au sérieux. »

A côté, Sonia M’Barek, mère de quatre enfants entre 5 ans et 13 ans, soutient totalement les propos de Maria. Mais seulement avec le regard. Elle a la crainte de ne pas s’exprimer correctement. « Ce qui compte est que les parents prennent la parole sur le territoire ». Depuis sa découverte de l’UPP, en 2010, Maria a découvert une vie sociale laissée aux oubliettes pendant près de dix ans :

« Si on fait tout ça, c’est pour redonner confiance aux parents, redonner vie au quartier et être parent ressource face aux institutions ».

Les mères de l’UPP sont devenues les « référentes parentalité » à Saint-Priest, invitées à s’exprimer dans des réunions d’élus, des forums sur le sujet. « C’est intéressant pour les partenaires d’avoir des parents sous le coude », souligne Sophie Doumbouya, coordinatrice de l’Acepp Rhône, en charge du suivi de l’UPP de Saint-Priest.

 

50% de financements en moins pour les UPP

Samedi 16 février au matin, Maria faisait partie d’une délégation de parents, avec Sophie, pour prendre le TGV direction Paris. C’était le jour de remise du rapport avec ceux de treize autres UPP de France, en vue d’une publication commune courant 2013. Les chercheuses comptent maintenant atteindre les autres parents de leurs quartiers. Un « café des parents » est en projet avec l’équipe éducative du collège voisin.

L’UPP a aussi fait entendre ses volontés à Bruxelles, au Parlement européen, devant quelques députés, avec les UPP de France, de Belgique et d’Allemagne. « Ce qui apparaît, c’est la recherche, mais le projet est surtout que les parents soient présents et prennent la parole sur le territoire », expose Sophie Doumbouya. « La recherche a été une impulsion. Des liens se sont noués entre les mamans, leur permettant de discuter, d’échanger, de prendre des responsabilités », conclut-elle, satisfaite des exigences tenues et d’avoir vérifié que la recherche peut sortir de son écrin.

A Saint-Priest, l’Acepp épaule encore quelques temps le groupe de mamans. Jusqu’à ce qu’elle « prenne son envol », avec ses projets et sa structure. Depuis 2005, une trentaine d’UPP a pris vie en France. Seront-elles un modèle de participation au cours de la réforme de la politique de la ville annoncée par le ministre chargé de la Ville, François Lamy ? Pas vraiment car, pour l’instant, la réalité évolue à rebrousse-poil des paroles qui sortent de l’assemblée nationale. « Le discours est proche de ce que nous essayons de promouvoir mais pour l’instant, il ne se passe rien », s’inquiète Emmanuelle Murcier, coordinatrice nationale des UPP.

Ces dernières auraient en effet perdu 50% de leur financement en trois ans. Pourtant, quand on écoute Maria, elle est la preuve par quatre que l’idée, du ministre (pas nouvelle et qui ne lui est pas propre) d’une « co-construction avec les premiers concernés, les habitants » tombe sous le sens. « J’invite chacun à aller dans les conseils de quartier, à apporter sa pierre à l’édifice.

Représenter le groupe de l’UPP est une force. Et pour moi, grâce à cette expérience, penser à une vie professionnelle est devenu possible », partage-t-elle, consciente d’avancer à son échelle, celle de son quartier.


#Banlieue

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