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Amiante : pourquoi un procès en appel en Italie et un non-lieu en France ?

BLOG / Procès en appel côté italien. Non-lieu côté français. Et la juge en charge du dossier de l’amiante, au sein du pôle santé publique du Tribunal de Grande instance de Paris, bientôt dessaisie

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. Pourquoi dans ce scandale de l’amiante une justice avance tandis que l’autre piétine, selon qu’elle est d’un côté ou de l’autre des Alpes ?

Ouverture du procès en appel à Turin, Italie, le 14 février 2013. Crédit : Alessandro di Marco/Maxpp.

C’est parti pour une semaine de maxi-procès. Second round. Un procès en appel de l’affaire Eternit -du nom de l’usine et du procédé de fabrication de l’amiante-ciment- ouvert le 14 février dernier devant le tribunal de Turin. Un an jour pour jour après une sentence historique de premier degré : 16 ans de prison ferme pour les ex dirigeants d’Eternit. Historique, car c’était la première fois qu’un tribunal statuait au pénal dans le scandale de l’amiante.

Coïncidence ? Alors que reprenait ce procès, la cour d’appel de Paris estimait qu’aucune responsabilité pénale n’avait pu être dégagé en 14 ans d’enquête contre l’ancien patron de l’usine Amisol. Pourtant, des deux côtés des Alpes l’affaire est similaire : même nombre de victimes de l’amiante et mêmes condamnations au civil pour faute inexcusable. Mais en France la perspective d’un procès au pénal s’est encore éloignée et l’instruction piétine.

Eternit, le maxi-procès

En 2003, le juge Raffaele Guariniello ouvre la plus vaste enquête sur l’amiante. 2009, c’est le maxi-procès : 26 mois. 6000 parties civiles. 2 inculpés condamnés par contumace à 16 ans de réclusion pour la mort de 2889 personnes dont 2100 ouvriers. Entre 1972 et 1986 le suisse Stephan Schmidheiny et le belge Jean-Louis de Cartier de Marchienne étaient responsables des quatre usines Eternit d’Italie. Et comme lors du premier verdict en 2012, les deux ex-dirigeants ne passeront pas la semaine à Turin. Les familles des victimes de l’amiante, elles, oui.

Giorgio Demezzi, le maire de Casale Monferrato, ville piémontaise de la plus importante usine Eternit d’Italie déclarait le 14 février alors que la défense demande la révision complète du verdict :

« Nous sommes à nouveau ici. Et nous espérons voir le verdict confirmé et voir la couleur des 25 millions accordés par les juges du tribunal. »

Alors pourquoi en France un tel procès n’est-il toujours pas possible ? Mediapart tente de répondre à cette question en se concentrant sur l’affaire Amisol, nom de l’usine emblématique française de production d’amiante. Pour résumer,  la cour d’appel de Paris décide début février d’arrêter d’instruire et de ne pas juger le patron d’Amisol au pénal. Raison :

« Les faits commis en 1974 ne peuvent être appréciés avec les exigences de santé publique apparues depuis […]. Absence de lien de causalité certain, de faute délibérée ».

Or, le caractère cancérigène de l’amiante est connu depuis les années 1950. Mais le décret règlementant son usage ne date que de 1977… Une décision qui éloigne la perspective d’un procès au pénal.

De 18 à 25 000 morts d’ici à 2050

Inacceptable pour les familles de victimes. 100 000 personnes en France sont mortes ou mourront entre 1995 et 2025 du cancer de la plèvre. L’Institut de veille sanitaire, l’INVS vient d’ailleurs de remettre un rapport dans lequel elle annonce de 18 à 25 000 décès d’ici 2050. Une date lointaine en raison de l’apparition tardive de la maladie après exposition à l’amiante.

Et il n’y a pas que dans la maladie que le temps est long : les premières plaintes ont été déposées en France il y a 17 ans. Marie-Odile Bertella-Geffroy, juge d’instruction et coordinatrice du pôle santé publique du Tribunal de Paris, se dit quasiment seule sur ce dossier quand ses homologues italiens travaillent à trente.


Marie-Odile Bertella-Geffroy « Les grands… par franceinter

« L’emmerdeuse de la République » au placard

Après plus de 10 ans sur les grands dossiers de scandales sanitaires, « l’emmerdeuse de la République » comme l’a qualifie Politis doit quitter son poste le 3 mars prochain et s’étonne de sa mutation alors que son instruction est sur le point d’aboutir dans l’affaire de l’amiante. Une décision qu’elle perçoit comme politique.

En novembre 2012 elle mettait en examen Martine Aubry pour homicide involontaire en tant qu’ex-directrice des relations du travail du ministère du Travail entre 1984 et 1987. Un lien bien entendu démenti ce dimanche par la ministre de la Justice Christiane Taubira, les juges spécialisés devant tourner tous les dix ans.

Mais le malaise demeure. Car à la différence de l’Italie où l’autonomie de la magistrature face au pouvoir politique est totale, en France, les juges d’instruction sont nommés par l’exécutif. Et si la juge Bertella-Geffroy est remplacée, les victimes de l’amiante encore en vie ont peur de ne pas avoir la chance de voir, comme leurs camarades italiens, un procès se tenir.


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