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Philippe Lucas, bouquiniste à Lyon : les mercenaires de la librairie 3/5

Figure emblématique d’une profession qui tombe en désuétude, le bouquiniste résiste. À Lyon, ils sont encore une vingtaine à refourguer livres, comics et autres BD d’occasion. Comment ces vendeurs d’une autre époque s’adaptent-ils au marché ? À travers une série de portraits, nous plongeons dans un quotidien fait d’arrangements, de désillusions et d’idées pour survivre. Cette semaine, c’est un certain Philippe Lucas qui nous ouvre les portes de sa librairie.

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Hugo Lautissier/Rue89Lyon

Sur le quai Pêcherie, la boutique de Philippe Lucas fait face aux boîtes scellées qui attendent les bouquinistes du weekend. Entre les deux, un no man’s land sépare ces deux « fronts » du livre. Une guerre ouverte ? Pas du tout, une cohabitation amicale et une saine concurrence régissent les rapports de ces voisins.

« À l’époque, j’ai vivement appuyé la création de ce marché du livre d’occasion. On a du mal à s’en rendre compte aujourd’hui, mais ce quartier était merdique et malfamé. Les bouquinistes des quais ont apporté une vraie vie de quartier. Quand leurs clients ne trouvent pas ce qu’ils recherchent, ils me les renvoient. »

Chasse et pêche

Avant d’attraper le virus du livre, Philippe a fait des études dans les assurances, avant de rejoindre l’Automobile club du Rhône au service téléphonique. Pas grand chose à voir avec sa profession actuelle. Il a commencé un peu par hasard en fréquentant le gros marché de Vaise, et en vendant quelques cartons de livres. Rapidement, il a noué des liens avec des libraires du coin. Au bout d’un an, il a lâché son emploi pour s’installer à la Croix-Rousse, à son compte, avec un bouquiniste rencontré sur le marché.

« Au début, je faisais un peu de tout, je vendais des « poche », des CDs. Ce n’est qu’après que je me suis spécialisé dans les livres anciens et ceux consacrés à la chasse et la pêche. C’est essentiel dans notre métier, avoir un thème sur lequel on est incollable, ça permet de fidéliser le client. Je publie régulièrement des catalogues pour les tenir au courant des nouveautés. »

La chasse et la pêche? Philippe le sait, il s’adresse à une niche minuscule. « Une niche vieillissante » souligne-t-il.

Il a ouvert sa librairie avec un stock limité, acheté 3000 francs à l’époque.

« Maintenant ce ne serait pas possible, un jeune qui démarre doit disposer d’un stock énorme. À cela s’ajoutent les loyers en constante augmentation, et les charges toujours plus importantes. Quand je me suis installé je payais 600 francs par mois, aujourd’hui c’est plutôt 2000. »

Heureusement, les bouquinistes actuels disposent d’une arme redoutable, et Philippe ne se gêne pas pour l’utiliser.

 

« On a clairement basculé sur internet »

Aujourd’hui, la boutique de Philippe Lucas n’est plus qu’une vitrine. Son activité est très largement tournée vers le web.

 Hugo Lautissier/Rue89Lyon

« Cette semaine, la boutique a vendu pour 10 euros de livres. On a clairement basculé sur Internet. On a encore quelques habitués qui passent régulièrement, mais rarement de nouvelles têtes. Les clients qui franchissent le seuil de la porte ont une idée précise de ce qu’il veulent. Si on n’a pas exactement ce qu’ils recherchent, ils repartent aussi vite qu’ils sont venus. »

Comme beaucoup de bouquinistes, Philippe utilise des plateformes telles quABBooks.fr ou livrerarebook.com qui regroupent des centaines de librairies. Cette dernière a d’ailleurs été créée par un libraire lyonnais.

« J’ai été le troisième à rejoindre livrerarebook.com. Aujourd’hui on est environ 500 sur le site. Sans ce genre d’outil, beaucoup de bouquinistes auraient disparu. »

L’idée est simple, moyennant une commission proportionnelle au nombre de livres mis en vente ou un abonnement annuel sur le site Internet, le libraire met en en ligne son stock et traite directement avec le client, à distance. Sur d’autres sites, l’hébergeur prend en charge lui-même la relation client. Le bouquiniste se cantonnant alors à un simple rôle de distributeur. Pour Philippe, on est loin de la relation de proximité qui liait le commerçant à son client.

« On n’a presque plus aucun contact avec les clients. L’acheteur sur Internet est beaucoup moins fidèle que celui qui vient en boutique. Il n’a pas l’impression d’acheter son livre à un bouquiniste, mais à un site marchand comme un autre. »

Plus fort encore, l’ancien client qui passait régulièrement faire un coucou à la boutique et acheter un ou deux bouquins est devenu un concurrent 2.0 féroce qui vend lui même ses livres sur le net, par l’intermédiaire du Bon Coin et autre Priceminister.

« Et dire qu’on râlait à l’époque contre les brocantes qui nous faisaient de l’ombre ! On regrette ce temps-là aujourd’hui. »

 

« Y a pas que Virgin qui ferme »

Question fatale, où Philippe Lucas se voit-il dans dix ans ?

« J’espère être encore là, mais ça me paraît mal barré. La situation devient de plus en plus critique pour les bouquinistes. À ce train-là, on sera bientôt des libraires de chambre avec seulement une boutique virtuelle, si on ne se fait pas bouffer par Amazon. »

La municipalité n’aiderait pas, non plus, à la conservation de ces commerces de proximité. Les politiques de « désencombrement des centres-ville » menée par les mairies de toutes les grandes villes du pays entraînent, selon Philippe Lucas, une disparition des petits commerces au profit des grandes enseignes, en périphérie.

« Un simple changement de sens de la circulation en centre-ville et c’est 30 à 40 % de fréquentation en moins pour les petits commerçants. Surtout pour les bouquinistes dont la clientèle est vieillissante, le moindre changement dans leurs habitudes et c’est la panique. Gérard Collomb dit qu’il veut nous aider, mais en fait il fait tout pour qu’on disparaisse. Il facilite le stationnement en périphérie de la ville à Confluence ou à la Part-Dieu. Et nous on fait quoi ? Y’a pas que Virgin qui ferme ! »

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