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Hérodote, bouquiniste à Lyon : les mercenaires de la librairie 2/5

Figure emblématique d’une profession qui tombe en désuétude, le bouquiniste résiste. À Lyon, ils sont encore une vingtaine à refourguer livres, comics et autres BD d’occasion. Comment ces vendeurs d’une autre époque s’adaptent-ils au marché ? À travers une série de portraits, nous plongeons dans un quotidien fait d’arrangements, de désillusions et d’idées pour survivre. Cette fois, on va chez Jo de la librairie Hérodote.

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                    Hugo Lautissier/Rue89Lyon

La librairie Hérodote est idéalement placée, au beau milieu de la rue Saint Jean dans le très touristique 5e arrondissement de Lyon. La boutique exigüe est coincée entre un kebab et un vendeur de souvenirs qui propose les éternels tee-shirt I love Lyon. Jo, le bouquiniste, est un petit homme vif à l’oeil malicieux, un vieux de la vieille qui connait bien son job.

Après des études inachevées, il a travaillé dans la plupart des usines de la région lyonnaise avant de faire un bref passage par la case prison. Il s’est ensuite installé à Croix-Rousse, où il a ouvert une première librairie avant de s’installer dans le Vieux Lyon, flairant une bonne affaire. Selon lui, il est aujourd’hui le seul bouquiniste lyonnais à être propriétaire de sa boutique, un luxe dans la profession.

« La proprio revendait sa boutique pour une bouchée de pain par rapport à son emplacement dans une rue piétonne. On était en 1991 et allez savoir pourquoi, elle s’était mis dans la tête que le quartier risquait un bombardement lié à la guerre du Golfe… »

Des histoires comme celle-ci Jo en a des dizaines à raconter. On en vient parfois même à se demander s’il ne confond pas la réalité avec les deux à trois romans qu’il dévore quotidiennement. Dans sa boutique, les bouquins s’empilent de façon anarchique sur les étagères et investissent peu à peu les moindres espaces laissés libres sur le sol.

« Je n’ai pas fait ce métier pour passer mon temps à ranger ! » réplique-t-il quand on lui fait remarquer. Jo est un passionné. La simple évocation de sa profession provoque en lui une profonde excitation.

Il répond sans faire de mystère, tirant frénétiquement de profondes bouffées sur les cigarettes qu’il fume à la chaîne, ignorant les « bonjour » et les « au revoir » timides des clients de passage qui se succèdent dans la boutique.

Hugo Lautissier/Rue89Lyon

Sirop à l’héroïne, vieilles photos pornos

À l’origine, le bouquiniste est un brigand. Friand d’anecdotes historiques, Jo rappelle que les mots receleur et bouquiniste étaient synonymes au XVIe siècle. C’est celui qui vend les livres interdits, sous le manteau.

Notre homme revendique fièrement cette réputation sulfureuse. Il entretient des relations avec les collectionneurs les plus farfelus et n’hésite pas à sortir de son rôle de bouquiniste pour revêtir la casquette de brocanteur tout-terrain.

« J’ai des passionnés de médecine qui recherchent des vieilles étiquettes de médicaments interdits, genre sirop à l’héroïne. Il y a des collectionneurs de vieilles photos pornos. J’ai aussi un fondu de vélo, il passe tous les 15 jours depuis plus de 20 ans, je lui vends tout, du livre ancien jusqu’à la rustine usagée. »

Lorsqu’il s’est installé dans les années 70, le marché du livre d’occasion n’était pas le même qu’aujourd’hui. Jo vient d’une époque pre-Google où l’on venait prendre conseil auprès de son bouquiniste. Pour lui, l’expertise et la confiance sont aujourd’hui ce qui le distingue des sites marchands et assure la pérennité de son entreprise.

« Je ne vends pas les mêmes choses qu’il y a 20 ans, il faut s’adapter à la demande, c’est l’ABC de n’importe quel métier. Heureusement pour moi, il y aura toujours des collectionneurs. Ils ont une sorte de vice en eux qui les pousse à toujours rechercher ce que les autres n’ont pas. Un collectionneur ne s’arrête jamais. Comme Don Juan, il a beau accumuler les femmes, aucune d’elles ne peut le satisfaire entièrement. »

« On a des diligences et les bagnoles arrivent »

Le moins que l’on puisse dire c’est que Jo ne semble pas terrifié par la prolifération des liseuses numériques, et du web en général. La situation stratégique de sa boutique dans un quartier touristique de Lyon le préserve sans doute du pire, mais pour combien de temps ? Réalise-t-il réellement les changements et les difficultés qui accompagnent l’heure du tout numérique ?

Jo reconnaît que le bouquiniste traditionnel accuse un temps de retard par rapport au développement d’Internet.

« On a des diligences et les bagnoles arrivent! Malgré tout, je ne considère pas internet comme un concurrent direct, ma librairie n’est pas en ligne, leboncoin ne me fait pas peur. De toute façon, je ne peux pas supporter d’être plus de 30 secondes devant un écran. »

Hugo Lautissier/Rue89Lyon

« Baudelaire pensait que la photographie ferait tomber la peinture aux oubliettes, il s’est complètement planté. De la même façon, la télévision n’a pas enterré le cinéma. Il y a juste de nouveaux modes de diffusion qui s’ajoutent et se mélangent. »

Jo  semble s’en sortir mieux que la plupart de ses confrères. Mais dès qu’on essaye d’en savoir plus sur son salaire, le vieux singe fait un pas en arrière :

« Demander à un commerçant combien il gagne? Vous n’y pensez pas sérieusement? Tout ce que je peux vous dire c’est que depuis 35 ans, je prends 3 mois de vacances par an, et c’est pas près de changer. »

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