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29/03/2024 date de fin
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Ces habitants qui veulent garder les Roms près de chez eux

Ils pétitionnent mais pas pour les chasser. Au coeur du quartier de la Guillotière (7e arrondissement de Lyon), les habitants et associations de « l’îlot Mazagran » se mobilisent pour le relogement d’une centaine de Roms qui vivent dans deux squats dont l’expulsion est imminente. Une démarche inédite qui s’inscrit dans une mobilisation plus large contre l’ « embourgeoisement » du quartier.

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Roms Guillotiere©LP:Rue89Lyon

Les enfants sont omniprésents dans le quartier. Crédit : Leïla Piazza

 

Quand des Roms ouvrent un squat dans un quartier, l’accueil réservé aux nouveaux habitants n’est généralement pas très bon. Ils sont mêmes parfois violemment rejetés par les riverains du squat, comme on le voit actuellement dans un quartier pavillonnaire de Vaulx-en-Velin. Dans le quartier de la Guillotière, la situation est tout autre. Au lieu de pétitionner et d’écrire à la mairie pour les faire dégager le plus vite possible, un grand nombre d’habitants d’un secteur du quartier appelé « l’îlot Mazagran » se mobilise pour les faire rester.

Autour de cet « îlot Mazagran », deux squats de Roms, rassemblant une centaine de personnes, sont en effet sous le coup d’une procédure d’expulsion. Pourtant, alors que l’intervention des forces de l’ordre est possible depuis plus ou moins longtemps selon les cas, les familles n’ont pour le moment pas encore été délogées. Et la mobilisation des riverains y est sans doute pour quelque chose. En effet, mi-juillet, un collectif d’habitants et d’associations a fait tourner une pétition, rassemblant une centaine de signatures individuelles et de structures associatives, envoyée au Grand-Lyon et à la ville de Lyon.

 

Des squats soutenus par les habitants

Il faut dire que les Roms se sont implantés dans le quartier de Lyon où il doit y avoir l’une des plus fortes concentrations d’associations et de militants de la ville. Des associations qui ont pris possession des lieux laissés vacants suite au gel du projet de créer une grande artère, prolongeant l’avenue Félix Faure jusqu’au quai du Rhône.

On y trouve des zones de compostage collectifs, un café coopératif, une association de plantation de verdure, un local (les Locaux Motiv’) rassemblant 17 associations et artistes. Surtout le jardin partagé d’Amaranthe, créé en 2003, a émergé au centre de ces délaissés urbains. Adossé à une placette arborée, c’est devenu l’ »îlot Mazagran ».

Autant dire que ce secteur de la Guillotière est hyper actif au niveau associatif, dans un contexte de mixité sociale, alliant populations issues de l’immigration, étudiants, classes moyennes intellectuelles, artistes ou SDF du Père Chevrier, le plus gros centre du Foyer Notre-Dame des sans abris.

La différence avec les autres quartier s’est tout de suite fait sentir, relève Julien, militant de Demeurant Partout, l’association qui a « réquistionné », il y a un an, un immeuble devenu le premier squat de la rue Montesquieu :

« Dans ce quartier, il n’y a pas eu d’attitudes de gens excédés, comme on a pu le voir ailleurs. On a reçu des mails pour nous dire que c’était bien d’avoir ouvert ce squat et proposer de donner des meubles. »

Gilberte Renard de l’association CLASSES (Collectif Lyonnais pour l’Accès à la Scolarisation et le Soutien des Enfants des Squat), confirme :

« Ici, on les aide. On leur apporte à manger. Les enfants participent aux activités. Et ils sont assez discrets. Du coup, les habitants les ont accepté. »

Ainsi, parmi les familles Roms menacées d’expulsion, nombreuses sont celles qui aimeraient ne pas partir trop loin de la Guillotière.

Une des familles dans son appartement squatté dans le secteur de l’îlot Mazagran. Crédit : Leïla Piazza

 

Cohabitation ou intégration ?

Ici, il se raconte que certains riverains ont donné des cours à des enfants, que d’autres, aident les parents dans la gestion de démarches administratives et la lecture de courriers.

Sur la place de l’«îlot Mazagran », les enfants Roms jouent et n’hésitent pas à venir alpaguer les passants.

« Lorsque je passe le matin, il n’y a quasiment que les enfants dehors, raconte Christian, le facteur. Ils me disent bonjour, me courent après. Parfois certains disent qu’ils vont me voler mon vélo mais c’est sur le ton de la rigolade. »

Grâce aux enfants, le contact entre habitants et squatteurs s’est noué, notamment dans le jardin partagé d’Amaranthe, géré notamment par l’association Brind’Guill. C’est ce que raconte Emma Lidbury, militante de l’association et et co-présidente de Locaux Motiv’, une pépinière regroupant 17 associations du quartier :

« J’ai rencontré ces familles par le biais du jardin où les enfants sont très présents. Dès qu’on l’ouvre, ils nous sollicitent pour jardiner avec nous. Du coup, on commence à bien connaître les familles. Ils sont vraiment intégrés dans le quartier. »

Et à l’occasion des évènements du quartier, les Roms participent de plus en plus.

« Lors de Maza’Grand Événement, on a diffusé des films sur la place, raconte Francis de l’association Les Inattendus. Les Roms sont venus et ont été un très bon public. Il y avait peu de paroles alors ils ont pu comprendre et étaient captivés. »

La vie du quartier s’est organisée autour du jardin d’Amaranthe, un jardin partagé, créé en 2003 et désormais ouvert à tous, lorsqu’un jardinier de l’association est présent. Crédit : Leïla Piazza

 

« Pas d’angélisme »

Les acteurs associatifs qui se battent pour le maintien des familles dans le quartier ne veulent pas faire dans la naïveté :

« Il ne faut pas être dans l’angélisme non plus, poursuit Francis. Ce n’est pas toujours évident. Ils sont très nombreux dans de petits espaces donc il y a forcément des tensions. »

« Des problèmes, il y en a bien sûr », reconnaît Emma Lidbury :

« Mais comme on commence à bien connaître certaines familles, on peut parler. Par exemple, au jardin, il est arrivé que des choses disparaissent. On en a discuté. C’était surement pas eux directement, mais comme c’est un peu comme une grande famille cette communauté, les choses ont fini par revenir. Et maintenant, ils surveillent en quelque sorte le cabanon à outils… »

« Quand ça se passe bien, il y a un véritable échange. Surtout avec les enfants qui sont très entreprenants. Avec les parents, c’est plus compliqué car il y a la barrière de la langue », ajoute sa collègue Maura.

Même constat de la part d’Elodie, serveuse du bar coopératif de la place, le Court Circuit :

« Le grand-père de la famille P., il vient nous voir, il commande son café et il essaie de discuter avec nous. Mais on ne comprend pas grand chose alors c’est difficile d’avoir un échange. »

Le bar coopératif situé au centre de cet îlot, a d’ailleurs dû apprendre à faire cohabiter sa clientèle avec les Roms régulièrement présents sur la place, où se situe sa terrasse.

« Il y a une forte précarité et beaucoup d’inactivité. Du coup, c’est dur à vivre, surtout pour les plus jeunes qui s’ennuient. Ils viennent jouer sur la place, sans faire attention aux clients. Ce n’est pas si facile de cohabiter. »

Corinne Iehl est habitante du quartier et membre de l’association Cré’Avenir qui participe à la concertation habitante. Elle nuance encore un peu plus le tableau :

« Dire que les Roms sont intégrés, c’est un peu abusif, même si on a sympathisé avec beaucoup de familles. C’est compliqué. Ils sont dans le désarrois, la survie quotidienne. Et il y a souvent des tensions entre les différentes familles. Ils sont tolérés, acceptés. Et il y a des formes de charité par contre. »

La place au centre de l’îlot Mazagran accueille de nombreuses festivités et la terrasse du bar coopératif. Crédit : Leïla Piazza

 

Lutter contre l’ « embourgeoisement »

La peur de la disparition des spécificités sociales de ce bout de quartier est forte. Au printemps 2011, la Ville de Lyon a relancé un projet de renouvellement urbain pour le quartier. Compte tenu de la forte densité militante, les élus ont tout de suite concerté les habitants. Dès les premiers temps, de nombreux habitants et associations se sont activement impliquées dans la concertation, notamment au sein du collectif Mobilizagran. Avec une revendication principale : la résistance à la gentrification, à savoir l’embourgeoisement d’une zone urbaine :

« Depuis le début de la concertation, les habitants et associations ont affirmé qu’ils voulaient garder une mixité sociale. On craint vraiment une gentrification, qui est déjà en train de se mettre en place », analyse Corinne Iehl de Cré’Avenir.

Autant dire que le départ des Roms du quartier, signifierait, dans l’esprit de nombreux habitants le début de la disparition de la mixité sociale. Un argument largement mis en avant dans la pétition du collectif d’habitants en direction des élus lyonnais :

« Nous, Collectif d’habitants et d’associations de l’îlot Mazagran (Lyon 7e), avons eu connaissance de la situation concernant le relogement des familles Roms du quartier. […] Il n’est pas question pour nous de voir le quartier se gentrifier avec,  pour conséquence, la flambée des prix de l’immobilier et l’exclusion de populations en situation d’extrême précarité. Nous ne pouvons accepter que la rénovation du quartier se fasse au prix de l’élimination de familles déjà en situation d’exclusion sociale ».

Les pétitionnaires demandent donc que « les familles soient relogées dans le quartier comme le Grand Lyon s’y était engagé » (selon les termes de la pétition). Contacté, le Grand Lyon botte en touche en rappelant que la compétence d’hébergement (en cas d’expulsion des squats) relève de la préfecture.

La question du relogement se pose aussi pour une famille rom logée légalement par Habitat et Humanisme dans un immeuble voué à la destruction (dans le cadre de la rénovation urbaine) et qui a eu une promesse de relogement de l’association. Seulement, pour le moment, seul un studio à Villeurbanne a été proposé au couple de grand-parents :

« Je préférerais rester ici, esquisse dans un Français hésitant Léontina, la doyenne de la famille P. Ca fait 8 ans que je suis dans le quartier. Un de mes petits-enfants va à l’école Gilbert Dru. Et ça se passe très bien avec les gens. Certains viennent boire le café. Et puis on nous amène des vêtements, des meubles ou de la nourriture. »

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