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Marchands de sommeil : le commerce de l’insalubrité à Lyon

C’est une nouvelle forme de marchands de sommeil qui s’installe aujourd’hui dans les grandes villes, et notamment à Lyon. Plusieurs cas ont été recensés par les associations d’aide au logement, dont un particulièrement effarant, au premier étage d’un immeuble, rue Burdeau, en plein coeur des pentes de la Croix Rousse (dans le 1er arrondissement).

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Crédit photo : Etienne Bouy

Les cas se multiplient : les marchands du sommeil sont devenus de véritables marchands de biens : des propriétaires achètent de très vieux immeubles pour les rénover à moindre coût, passer quelques coups de peinture et les cloisonner en d’innombrables chambrettes de quelques mètres carré. En face, ils visent le locataire qui se trouve coincé : des salaires minces voire absents, des garanties difficiles à obtenir… La galère ordinaire du logement.

Sylvie Maraque, employée à l’ALPIL, une association pour le “logement pour tous”, parle en effet d’une “cible” :

“Il s’agit de personnes qui arrivent de l’étranger ou des personnes qui ont un parcours de rue. Elles ne peuvent pas fournir les pièces nécessaires à un dossier de demande de logement plus classique. »

Les étudiants ?

« Oui, même si pour la plupart ils trouveront d’autre solution. »

Sylvie Maraque précise qu’« habiter dans des lieux de ce genre permet aussi parfois d’accélérer ses demandes de logements sociaux». Profitant des difficultés à se loger, les marchands de sommeil proposent des prix record sur des locations dont les prestations sont elles aussi “remarquables” : record d’humidité, record d’insalubrité, une douche et un toilette pour dix personnes. Parfois « pas de douche du tout », d’après Sylvie :

« Ces personnes vont regarder le prix brut du loyer, sans prêter attention aux conditions de logement. Elles savent que dans leur budget il y a 300 euros pour se loger et pas plus. Et au bout de quelques semaines, elle se sentiront mal. »


Crédit photo : Etienne Bouy

Gazer les cafards

Dimitri a 24 ans, il est chômeur et vit à Lyon depuis sept ans, dans la rue Burdeau. La rue des petites galeries d’art, à flanc de colline de la Croix-Rousse.
Pour éviter de dormir dans la rue, il a signé un bail qui l’amène à vivre aujourd’hui dans ce qu’il apelle “un cube de 9m²”. Il a contacté les services d’hygiène, les associations d’aide au logement, considérant ne plus avoir grand chose à perdre, envisageant d’aller jusqu’au procès pour faire condamner son propriétaire :

« Ça fait trop longtemps que ça dure, je veux que ça bouge, j’ai envie de crier. »

Sur le site de l’ALPIL, le questionnaire intitulé « Mon logement est-il vraiment insalubre ou indécent ?», chacun peut vérifier ses conditions de logement par rapport à la législation et les normes minimales d’habitabilité, et ensuite contacter l’association si nécessaire. Mais il reste un « problème de législation », d’après l’association :

“Il y a une accumulation de textes de loi, et le statut de logement insalubre est difficile à établir, c’est toujours à la limite. Souvent on arrive pas à qualifier suffisamment bien l’infraction pour aller jusque là. Par exemple, dans l’appartement de Dimitri, rue Burdeau, même si le logement est très inconfortable, avec des cafards, ça ne suffit même pas », décrit Sylvie.

 

Le logement de Dimitri a finalement été entièrement gazé afin d’éliminer les insectes présents dans les murs, comme les cafards. Le service d’hygiène de la Ville est passé le 3 mai dernier et son immeuble n’a pas été classé comme « insalubre ». Le propriétaire a reçu une mise en demeure, ce que déplore Sylvie Maraque :

« Ça n’est qu’un simple courrier. Il n’y a pas beaucoup de sanctions prévues pour faire appliquer les injonctions de la mairie. Il y a des relances et ça s’arrête là, souvent. L’occupant peut faire une démarche en justice, mais en général ces populations ne le font pas.

C’est pourtant le seul recours efficace car il obéit à des critères plus souples que celui qui permet d’obtenir le classement du logement comme insalubre. En justice on peut faire condamner le propriétaire sans passer par cette difficile déclaration de logement insalubre. »


Crédit photo : Etienne Bouy

 

Une trentaine de logements insalubres à Lyon

Le classement « idéal », en l’état, d’après Sylvie, serait celui du « logement inhabitable » :

« Actuellement, la mairie de Lyon déclare une vingtaine voire une trentaine de logements inhabitables. Pas insalubres, mais inhabitables, en fonction des hauteurs de plafond ou de la surface minimale du logement.

Le propriétaire est alors obligé de rectifier les normes de sa propriété pour la relouer, en la rénovant ou en la détruisant. Cependant, lorsque l’appartement est refait à neuf, le loyer augmente et devient trop chef pour les locataires qui se trouvaient là. »

Si le propriétaire de l’immeuble rue Burdeau n’a pas souhaité répondre à nos questions, son gestionnaire, au sein de la SAR GP (service avantageux rapide et gestion de patrimoine), nous a formulé des réponses évasives, un brin agacé. Selon lui, l’immeuble va être vendu : « les locataires étaient des gros crados ». D’ailleurs il engage une démarche d’expulsion envers Dimitri pour non-paiement du loyer.


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