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Assises du Roman : trois voix incontournables

Parmi les 80 invités des Assises internationales du roman, l’écrivain Peter Nadas, le cinéaste Frederick Wiseman et le linguiste Jean-Claude Milner seront sans doute, au regard de leurs œuvres «décapantes», parmi les plus passionnants à entendre. Trois exemples représentatifs aussi de l’ouverture des Assises à différentes disciplines et formes d’écriture.

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Crédits photo : Frédéric Brenner

 

«En même temps, il eut comme l’impression de percevoir je ne sais quelles autres voix dans ce grand espace sombre sans issue. Les voix affleuraient, se frayaient un chemin entre les accords et les sons qu’égrenait la musique.

 

Jamais auparavant il n’avait observé à quel point les histoires, les pensées et les sentiments les plus divers ou les plus singuliers s’entrecroisent et se déroulent à vrai dire en parallèle, concomitants les uns aux autres», lit-on sous la plume du Hongrois Péter Nadas.

 

Ses Histoires parallèles, livre somme -1100 pages, 18 ans d’écriture- et à tous points de vue «énorme», tissent, elles-aussi, au-dessus des abysses du sens et du monde (de la Seconde Guerre mondiale à nos jours, à travers l’Europe), des récits, des sensations, des affects, des pensées et des paroles de multiples personnages.

 

Des odeurs du prépuce d’Agost, traducteur pour une agence d’Etat dans la Hongrie des années 1960, à l’assassinat d’un soldat allemand pendant la guerre, d’une scène hilarante où, dans une boutique, un jeune étudiant berlinois en 1989 se prend d’intérêt pour les strings, à un huis clos dans un taxi où une femme et sa belle-fille se découvrent des attirances et des haines insoupçonnées en se rendant au chevet d’un mourant…

 

Nadas, au scalpel de son écriture (parfois difficile, toujours riche, précise et sans ambages), nous immerge dans les tragédies de l’histoire, les tourments de ses personnages, les humeurs du corps et la fureur des éléments naturels.

 

 

Silence, on tourne

 

 

Depuis Jean-François Lyotard au moins, l’on sait notre post-modernité condamnée aux petits récits, à la perte des grands et de leur illusoire unité. Dire le chaos (le crime, la guerre, l’exclusion sont quelques-unes des thématiques des tables-rondes des Assises) telle est la gageure des 80 invités des Assises du roman.

 

Parmi ces voix, il en est de singulières et des plus radicales, comme celle silencieuse (pas de commentaires ni de questions dans ses films) du sage-cinéaste Frederick Wiseman. Depuis Titicut Follies en 1967, le documentariste immisce ses perches son et son œil caméra parmi la «pâte» du réel et des grandes institutions américaines, pour mieux se faire oublier et en capter les mécanismes, les strates sociales, les conflits et les tensions.

 

Rimbaud écrivait pour les animaux, Wiseman donne image et parole aux «autres», déplaçant son dispositif filmique, quasi transparent, de casernes en asiles ou usines, et même jusqu’au Ballet de l’opéra de Paris et au Crazy Horse récemment. Nous sommes curieux de ce que pourra dire, en public, ce cinéaste qui refuse de penser, sentir, interpréter à la place du spectateur.

 

On s’étonnera moins de sa présence aux côtés d’écrivains car, pour Wiseman, le montage d’un film est une question d’écriture avec les mêmes enjeux qu’en littérature «de structure, de définition des personnages, d’abstraction, de métaphore et de problème du passage du temps».

 

 

Une parole qui ne tourne pas en rond

 

 

Si Wiseman donne, dans le silence, la parole aux autres, Jean-Claude Milner est quant à lui singulièrement et brillamment bavard (et ce jusqu’au dérapage idiot quand, dans une émission sur France Culture, il a pu qualifier Les Héritiers de Bourdieu et Passeron d’ouvrage antisémite). L’ancien normalien maoïste, fidèle des séminaires de Jacques Lacan (dont l’œuvre est centrale pour Milner), est tout à la fois linguiste, philosophe, essayiste…

 

Dans un passionnant et récent recueil d’entretiens, il s’attèle même à donner des Clartés de tout. Où l’on y apprend, par exemple, ses positions sur l’épistémologie des sciences contemporaines, sa défense de la psychanalyse lacanienne, son bilan sur ses engagements politiques, son amour de la langue, ses interprétations du plaisir…

 

Avec quelques hypothèses toujours tranchées et surprenantes, comme cet étonnant parallèle : «la notion de plaisir sexuel comme la résurrection des corps est une invention judéo-chrétienne» ! Son entretien avec l’excellent journaliste Jean Birnbaum promet donc quelques saillies et propos décapants, propres à donner à penser.

 

Par Jean-Emmanuel Denave

A lire sur petit-bulletin.fr.

 


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