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29/03/2024 date de fin
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Elèves en difficulté : les enseignants spécialisés sur la sellette

Après la mobilisation du 12 mars dernier, un nouveau rassemblement d’enseignants est prévue ce soir devant la préfecture. Avec le nouveau projet de carte scolaire, pas moins de 22 postes d’enseignants spécialisés des RASED (réseau d’aides spécialisées aux élèves en difficulté) doivent être supprimés. Une des conséquences du démantèlement des réseaux : la médicalisation croissante des difficultés scolaires ou relationnelles des (très) jeunes enfants.

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Ce n’est pas la première fois que le gouvernement vise les RASED (Réseaux d’Aides Spécialisée pour les Enfants en Difficulté) pour « récupérer » des postes. Le dispositif lancé en 1990 a toujours été la variable d’ajustement des effectifs de L’Education nationale. Cette année, dans le département du Rhône, 17 postes de rééducateurs et 5 postes d’enseignants d’adaptation seront supprimés. Des spécialisations mal connues et souvent assimilées à tort à une approche trop psychologisante de l’enseignement ou à du soutien scolaire.

En théorie, un réseau d’aide est constitué des trois fonctions : le psychologue scolaire, le rééducateur et l’enseignant d’adaptation, qui interviennent en équipe sur plusieurs écoles. Le but ? Trouver des solutions pour « sauver » dès la maternelle les enfants en difficultés scolaires ou relationnelles – « deux ou trois par classe en moyenne », selon Sylvie Gaisne, présidente de l’association des rééducateurs de l’éducation nationale (l’AREN 69) et membre du collectif « Sauvons les RASED ». Parce qu’apprendre à l’école ne va pas de soi pour tout le monde.

Dans l’agglomération lyonnaise, de nombreuses circonscriptions sont déjà amputées d’un ou plusieurs de ces postes-clefs. Mais la réorganisation au niveau du département, cette année, pourrait presque passer pour un cadeau face aux coupes franches réalisées, elles, en Seine-et-Marne (42 postes en moins) ou dans les Bouches-du Rhône (tous les postes y sont supprimés).

 

« Ouvrir des portes » plutôt qu’envoyer au coin

Sylvie Gaisne est une rééducatrice très engagée dans sa « mission ». Depuis 2005, elle travaille sur les trois communes d’Irigny, Brignais et Sarcieu, un secteur « rurbain » de 5500 élèves. En gérant un emploi du temps surchargé.

  » On est dans une dynamique de réaction au détriment d’un travail de fond : on essaie d’abord d’intervenir auprès de ceux qui sont effondrés scolairement, puis après on gère l’urgence dans les écoles où ça va péter » déplore-t-elle.

Cette année, elle intervient régulièrement dans trois écoles « en difficulté » et suit une trentaine d’enfants par semaine. Son métier, c’est de réfléchir à la situation de l’enfant en général, pour trouver là où ça coince. Dans la classe, à l’école, dans sa famille.

« Quand un enfant n’a pas de solution, il répète le même comportement. Au collège il est déjà trop tard, il faut agir dès la maternelle » explique Sylvie.

Alors pour trouver des solutions, l’outil principal des enseignants spécialisés, c’est le jeu.

 

Extrait 4 doc « Un parmi les autres » from Rue89Lyon on Vimeo : dans le documentaire de la FNAREN sorti en 2011, intervention du psychiatre et neurologue Boris Cyrulnik

 

« On est là pour ouvrir des portes à l’enfant, pour lui montrer les ressources qu’il a en lui afin qu’il puisse prendre confiance en lui, et devenir élève. Ils en ont tous la capacité ». Un plaidoyer qui ne colle pas vraiment  à la vision déterministe du gouvernement.  « On voit des enfants qui sont dans des milieux pauvres, qui ont une culture éloignée de celle de l’école, et qui s’en sortent », poursuit Sylvie. « Et d’autres mieux lotis qui n’arrivent pas à se faire une place. Ce qui compte, c’est avant tout la trajectoire familiale ». Des familles parfois réticentes à recourir à l’aide du RASED :

« Ce n’est jamais facile d’entendre que son enfant est en difficulté, surtout si on l’est soi-même ».

Pour ces parents en difficulté, ce type d’accompagnement a l’avantage d’être un appui discret. Dont le but est d’éviter à tout prix le catalogage du « mauvais élève ».

 « Tu seras hyperactif, mon fils »

Cécile Rama est psychologue – un des postes les moins touchés des réseaux. Quand on l’interroge sur l’évolution de son métier, elle dénonce une médicalisation à outrance des difficultés scolaires :

« Maintenant, le moindre symptôme est médicalisé. Si un enfant ne sait pas écrire, on l’envoie chez l’orthophoniste, s’il est agité, on le dit hyperactif… Ça déculpabilise les parents, mais quand on efface le symptôme sans essayer de comprendre, l’iceberg remonte ».

Un constat que partage Sandrine Chanel, rééducatrice : « C’est une logique qui donne lieu à des situations absurdes : on colle une pathologie sur des enfants encore en plein développement ». Sandrine suit le petit Yanis depuis 3 ans. « C’était un enfant très inhibé physiquement» se rappelle sa mère. « Maintenant, il prend l’initiative de lever la main, il va vers les autres et n’a plus peur de sauter les marches… ». Grâce à l’aide du Rased, Yanis a réussi à passer en CP, et aujourd’hui il peut apprendre en classe.

La « loi handicap » du 11 février 2005 a largement favorisé cette tendance à la médicalisation systématique. Un texte dont Sylvie Gaisne considère l’objectif « louable en soi : il s’agit de ne pas « ségréguer » les enfants handicapés, de les intégrer au maximum… Mais on ne donne pas à l’école les moyens de s’adapter ». Manque de formation des enseignants « classiques » débordés, toujours moins de travail en équipe… « Les enseignants se retrouvent de plus en plus seuls à bricoler, face à des classes de 35 élèves tous différents et à des parents qui attendent de plus en plus de l’école »  résume la rééducatrice.

 

 « L’espace à penser »

Une logique qui ne concerne pas seulement les RASED, mais tout le secteur de l’aide spécialisée, comme les SESSAD (Service d’éducation spécialisée et de soins à domicile)  ou les AVS (auxiliaires de vie scolaire). Et dont  les conséquences se font déjà sentir.

« Les fédérations de parents ont constaté que lorsque les RASED étaient supprimés, il y avait soit un déni de la difficulté par les enseignants, soit de plus en plus de demandes dans le champ du handicap » rapporte Sylvie Gaisne.

Dans l’Education Nationale, le changement n’est pas anodin : « tous les enfants auxquels on diagnostique les fameux troubles en « dys » (dyslexie, dyspraxie, dysorthographie…) passent dans le champ du handicap via un dossier MDPH» analyse Muriel Faveris, rééducatrice dans le 4e arrondissement de Lyon. Un classement qui fait peur à beaucoup de parents, qui parfois renoncent à l’aide du Rased ou d’intervenants extérieurs (celle des orthophonistes ou des instituts médico-éducatifs par exemple) . Dans les zones rurales de Rhône-Alpes, les familles en difficulté pâtissent du manque de structures d’aide spécialisée. Alors le nombre de dossiers MDPH augmente en même temps que celui des enfants déscolarisés, faute d’information ou de prise en charge adaptée.

« Sans les Rased, on perd le lien humain avec l’enseignant  – et les parents » pointe Muriel Faveris. Convaincue du lien entre communication avec la famille et réussite de l’enfant, elle évoque le cas d’une fratrie : « La mère était complètement sur la défensive, terrorisée. Elle accusait l’école d’être responsable des difficultés de ces deux fils, mais elle a accepté l’aide du réseau. Aujourd’hui, elle voit leurs progrès, alors elle me fait confiance. On discute, et elle vient me demander des conseils quand ça dérape à la maison ».

 

Un constat que partage Sylvie Gaisne :

 « S’il y a quelque chose de créatif dans l’Education Nationale, c’est bien les RASED. On est tout le temps dans l’ajustement, l’innovation – quand on retire les RASED, on retire l’espace à penser ».

Les chiffres des suppressions seront confirmés ce soir ; les enseignants doivent se rassembler à 18 heures devant la préfecture pour protester contre le nouveau projet de carte scolaire.

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