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Chapitre 1 – «Plus Occident qu’Occitan»

Dans une rue sombre de la capitale régionale, 26 avril 2014

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Habituellement, la rue Chasse-pot est calme le dimanche soir. On n’y croise guère que de bons époux d’âge mûr qui, las d’un après-midi passé devant la télévision, promènent le teckel chéri de leur épouse, prétexte à prendre un peu d’air frais. Mais à hauteur du numéro 86, les bons époux tirent sur la laisse pour hâter le pas. Un attroupement inquiétant déborde d’un pas de porte d’où sortent des chants avinés.

«— A boire ! A boire du sentiment !
A boire ! Même du sang !
A boire ! A boire du sentiment !
Pour honorer les morts, oublier les vivants.» (1)

C’est la permanence de d’Hubert Domitien, l’homme fort du Bataillon Français dans la région, dont la présence est habituellement si discrète dans ce quartier bourgeois, qui emplit l’espace sonore de la rue par des beuglements et des bris de verre (2). Des drapeaux de groupuscules qu’on croyait enterrés depuis des décennies dans les poubelles de l’histoire (3) flottent au-dessus de la foule.

Pour les jeunes gens portant rangers et bombers qui beuglent sous la lumière orange des lampes à sodium de l’éclairage public, ce jour est une apothéose. On vient de connaître le résultat du second tour des élections régionales, et, pour la première fois, le Bataillon Français est arrivé en tête sur une liste qu’il conduit. Hubert Domitien sera sans nul doute le prochain président de région, même s’il a dû faire alliance avec la Droite Populace, une liste issue de l’éclatement du grand parti de droite après les dernières élections nationales de 2012 (4). Au plan national, la situation est inverse : au prix de son éclatement, la droite classique a gardé la main sur une coalition qu’elle a dû composer avec le Bataillon Français dont plusieurs membres sont au gouvernement. Parmi eux, Jeanne-Marie de Kervenac’h, la présidente du parti, est ministre de l’Intérieur.

Un jeune homme à l’air absorbé dans un impeccable costume Armani raccroche son téléphone mobile en se faufilant parmi les bombers et avise le plus âgé des skinheads, Thierry Calepied, alias Skinhell (5).

«— Hubert va arriver dans un quart d’heure avec une meute de journaleux. Tu sais qu’il ne faut pas vous faire voir… (6)
— Putain ouais, mais tu sais, mes petits gars sont plus excités qu’un soir de match contre le PSG. Si je les disperse, ils vont aller casser du bougnoule à la cité du Bosquet-Joli.
— Exprimez votre joie si ça vous amuse. L’important, tu le sais, cher Thierry, c’est la dis-cré-tion.»

Ce soir-là, en effet, l’annonce retentissante de la victoire du Bataillon Français a occulté quelques razzias sporadiques, micro-pogroms et autres faits divers pourtant de mauvais augure.

A suivre…

Ceci est une fiction, mais…

1 – Ces paroles sont extraites de la chanson L’eau de feu de Jean-Pax Méfret, une sorte de Michel Sardou, mais bien plus à droite encore. Les thèmes de ses chansons sont toujours les mêmes : l’armée, la Légion étrangère, l’anticommunisme, le maintien de l’ordre, l’Algérie française, les guerres coloniales…

2 – C’est le genre d’ambiance que connaissent certaines rues lyonnaises proches des locaux hébergeant les divers mouvements néo-fascistes qui sévissent dans la ville. C’était le cas autrefois à Gerland, c’est maintenant le vieux Lyon qui en fait les frais.

3 – Au conseil régional de Rhône-Alpes, les élus FN font parfois référence à des groupuscules qu’on croyait enterrés depuis longtemps. «Nous sommes plus Occident qu’Occitan», disait Liliane Boury à propos d’un texte sur les langues régionales. Elle faisait référence à un mouvement étudiant des années soixante qui se réclamait ouvertement du fascisme : « (…) dans toutes les démocraties, il y a des “blousons noirs”. Alors que dans les pays qualifiés de “fascistes”, il n’y en a jamais eu. Cela tient au fait que tout fascisme est l’expression d’un nationalisme, qui seul peut cristalliser la volonté de la jeunesse en un immense élan révolutionnaire ; le nationalisme, c’est la jeunesse au pouvoir. » (extrait du journal “Occident université” cité dans Wikipédia).

4 – Une fondation de réflexion politique a élaboré un “scénario catastrophe” où Marine Le Pen s’alliait avec l’UMP pour prendre le pouvoir. Ce scénario pourrait être le préambule de notre fiction.

5 – Ceci est une fiction, mais en France, le Front National a lui aussi des relations parfois embarrassantes avec des chefs de bande skinheads. Marine Le Pen a eu des contacts avec un certain “Batskin”.

6 – Dans la réalité, depuis l’accession de Marine Le Pen à sa présidence, le Front National cherche à ce que les skins et autres mouvements radicaux violents n’apparaissent pas dans ses manifestations, sans pour autant les éliminer totalement de ses rangs, loin de là.


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