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29/03/2024 date de fin
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Saint-Pierre, l’avocat qui veut faire tomber le procureur Courroye

Choisi par Le Monde dans l’affaire dite « des fadettes » qui oppose le journal à l’actuel procureur du parquet de Nanterre, l’avocat lyonnais François Saint-Pierre jubile. Pas uniquement parce qu’il s’agit d’une affaire politico-médiatique à rebondissements multiples, mais aussi parce qu’il connaît bien Philippe Courroye et qu’il trouve ici l’occasion d’une nouvelle bataille avec le magistrat.

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François Saint-Pierre – crédit photo : Thomas Francillard

« Le but du Monde est d’obtenir de la Justice que les garanties effectives du secret des sources et donc de la liberté de la presse soient clairement définies ».

François Saint-Pierre, pénaliste hyperactif parmi les plus réputés et les « plus talentueux », disent même nombre de magistrats et confrères avocats du barreau de Lyon, a été choisi par la société éditrice du Monde et deux de ses journalistes, Gérard Davet et Jacques Follorou, pour les représenter dans l’affaire qui les oppose à Philippe Courroye. L’actuel procureur de Nanterre a été mis en examen pour « collecte illicite de données à caractère personnel par un moyen frauduleux déloyal et illicite » et pour « violation du secret des correspondances ».

En septembre 2010, le magistrat avait demandé les fadettes, c’est à dire les factures téléphoniques détaillées de plusieurs journalistes du Monde, ainsi que le contenu de SMS qu’ils avaient échangés avec la juge d’instruction Isabelle Prévost-Desprez, alors qu’ils enquêtaient sur l’affaire Bettencourt. Pour François Saint-Pierre, le dossier a une saveur particulière, car il connaît bien son adversaire. Ils ont déjà eu l’occasion de ferrailler alors que Courroye était juge d’instruction à Lyon et mettait en examen le maire de la ville Michel Noir, dont Saint-Pierre était l’avocat.

« Un véritable croisé »

Courroye arrive à Lyon en 1987 et il acquiert sans attendre la réputation d’être impitoyable. En face, l’avocat du député-maire de Lyon, Michel Noir, alors mis en examen pour abus de confiance, exprime à la première occasion dans la presse ce qu’il pense de ce juge d’instruction « opiniâtre ». Un magistrat qui siégeait à cette période au TGI de Lyon se rappelle :

« A l’époque, Saint-Pierre était un véritable croisé, on se souvient de ses querelles homériques avec Courroye. Il s’est calmé aujourd’hui mais c’était spectaculaire ».

« Calmé » peut-être dans la forme, mais sur le fond, Saint-Pierre ne compte rien lâcher. Il confie observer ce magistrat depuis longtemps déjà. Pour lui, Courroye manque d’humanité et beaucoup de personnes seraient satisfaites de « le voir enfin tomber » :

« Un magistrat doit appliquer la loi avec fermeté. On peut même dire avec dureté. Jamais avec sadisme. »

Dans un article cinglant sur les amitiés et accointances de Philippe Courroye avec des politiques et des industriels impliqués dans des affaires qu’il devait traiter, lexpress.fr rapporte que Saint-Pierre classait Courroye parmi les héritiers de la « droite maurassienne ». L’avocat aurait dit du procureur qu’il était un néo-fasciste, la sentence aurait été à peine plus sévère. François Saint-Pierre sourit. Il ne se souvient pas de cet article :

« Les opinions politiques de Monsieur Courroye, je ne les connais pas. Je peux les deviner. Je constate seulement qu’en tant que magistrat il a exercé de façon à être mis en examen aujourd’hui. Ce qui est un fait sans précédent. »

 

Le dernier round ?


Philippe Courroye – Crédit photo : Thomas Padilla/MAXPPP

Le choix du Monde se portant sur lui, Saint-Pierre enfile à nouveau les gants :

« C’est évident, le Monde m’a choisi aussi à cause de ce passé ancien. Je connais Monsieur Courroye, je sais quel est son mode de fonctionnement. Il fallait en face un avocat qui sache mener son action avec fermeté, avec froideur, sans trembler. »

L’avocat assure ne pas être animé dans ce dossier par un quelconque ressentiment. Le fait d’avoir, selon ses propres termes, donné des coups, d’en avoir reçus, est même galvanisant :

« Monsieur Courroye m’a donné l’occasion de combats judiciaires importants. »

Et pour cause. En 1996, le magistrat a obtenu la condamnation de François Saint-Pierre pour outrage tandis qu’il instruisait l’affaire Michel Noir. Saint-Pierre l’avait accusé d’instruire le dossier de façon « partiale » et « sur commande politique ». A l’époque Michel Noir était en rupture avec le RPR du président Jacques Chirac. L’avocat estime avoir eu raison, et imagine même qu’en ayant accès un jour aux archives politiques des affaires chiraquiennes, il pourrait demander la révision de cette condamnation pour outrage. Mais en attendant, il fanfaronnerait presque :

« Cette condamnation-là, pour ces mots-là, c’est mieux qu’une légion d’honneur ! »

Pour Saint-Pierre, Philippe Courroye n’est pas cet homme souvent décrit dans la presse, qui aurait dérapé, enivré par le pouvoir ou le fait de côtoyer ceux qui le possèdent.

« Je l’observe depuis longtemps. De façon clinique. Il s’est développé, il s’est renforcé, fondamentalement, c’est le même depuis le début. »

Le dossier des « fadettes du Monde » serait-il l’occasion d’un dernier round entre Courroye et Saint-Pierre ? L’avocat est certain d’être à sa place :

« Au Monde, ils ne m’ont certainement pas choisi pour une capacité à me venger d’une offense qu’on m’aurait faite il y a de nombreuses années. »

Le jour de sa mise en examen, le 17 janvier dernier, Philippe Courroye a affirmé, sans même attendre que la question lui soit posée, qu’il ne démissionnerait pas de son poste de procureur de Nanterre. Par le même temps, il a formé un recours contre cette mise en examen, invoquant des moyens procéduraux, sur lesquels la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris pourrait statuer au printemps prochain. François Saint-Pierre se montre atterré :

« Courroye veut être protégé par une immunité totale, la démocratie n’accepte pas ce genre de statut, cela n’existe pas, son comportement est tout simplement hallucinant. »

François Saint-Pierre imagine que Courroye ne sera plus procureur d’ici un mois ou deux. « En tout cas avant les élections présidentielles ». Un pari, en forme de vœu, que l’avocat lyonnais semble s’être lancé à lui-même.

 

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