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IPERGAY, une prévention inédite contre le VIH et pour les homos

L’initiative est unique en Europe et elle est menée en partie à l’hôpital de la Croix-Rousse. Un essai de prévention « pré-exposition » au VIH va être lancé par le CHU de Lyon dans les prochaines semaines, conçue en direction d’une population masculine séronégative ayant des rapports homosexuels, et à qui il arrive de ne pas porter de préservatif.

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Sida /

Le traitement consiste dans la prise de médicaments anti-rétroviraux, habituellement pris en traitement par les personnes séropositives, ou encore par les femmes enceintes dans le but de ne pas transmettre le virus à leur enfant. Il faut savoir que 6700 patients porteurs du virus du sida sont suivis dans les centres hospitaliers de la région, dont 3307 à Lyon. Trente ans après le début de l’épidémie du sida, un point sur la prévention semble donc indispensable.

Laurent Cotte, investigateur principal à Lyon, membre du conseil scientifique de l’étude et médecin hospitalier dans le service des maladies infectieuses à l’hôpital de la Croix-Rousse, explicite la mise en place de l’étude baptisée Ipergay (Intervention préventive de l’exposition aux risques avec et pour les gays) qui, rappelle-t-il, ne doit pas venir « concurrencer » le préservatif.

 

Rue89Lyon : Combien de personnes vont participer à Ipergay?

Laurent Cotte : Au total on espère avoir 1900 participants : comme pour toutes les études liées à la prévention, il faut beaucoup de patients, plus que pour des études de médicaments. C’est une énorme étude, novatrice, dont le coût est important (un million d’euros pour la seule phase de faisabilité, Ndlr), et avant d’engager ce coût pour 1900 patients et sur dix ou peut-être vingt centres, il faut d’abord estimer sa faisabilité avec les quelques 300 patients, sur deux sites parisiens et un à Lyon. L’étude s’adresse au groupe le plus touché par la contraction du VIH, les homosexuels masculins, exclusivement, qui sont négatifs et qui sont contrôlés au départ. Ils auront des sérologies très régulièrement. Ce sont des personnes qui ont des relations non protégées. Ils sont recrutés avec des critères bien précis.

 

Ils se verront proposer la prise d’un médicament anti-rétroviral ou un placebo à la demande.

Il y a un tirage au sort, c’est ce qu’on appelle une randomisation, pour créer deux types de patients, ceux qui prendront le médicament antirétroviral, et ceux qui prendront un faux médicament. Ni le médecin, ni le patient ne le savent. Ce groupe placebo est une condition indispensable, pour deux raisons. D’abord pour montrer que le traitement a une efficacité, il faut le comparer à quelque chose. Ensuite, c’est la meilleure façon de s’assurer qu’il n’y aura pas de modification des comportements dans le cadre de l’étude. Il ne faut pas que les patients se sentent protégés indûment.

 

Le protocole est assez contraignant. Les rapports sexuels doivent être prévus.

Il n’est pas vraiment contraignant. L’une des spécificités de cette étude c’est que le traitement n’est pas pris en continu, mais en fonction des prises de risque. Quelqu’un qui ne prévoit pas de rapport sexuel n’en prend pas. Il faut qu’au moins deux heures avant le rapport, le médicament soit pris, c’est facilement planifiable sur ce délai. Le traitement consiste en deux comprimés lors de la première prise. Après c’est un comprimé par période de 24 heures à la fin des rapports non protégés. Quelqu’un qui prévoit de faire la fête vendredi et samedi, débutera vendredi en début de soirée en prenant deux premiers comprimés, il continue de faire la fête le samedi, il reprend dans tous les cas un comprimé, s’il a des rapports le samedi soir, il reprend un comprimé le dimanche soir.

 

Les personnes qui prennent le placébo ne seront pas protégées. Le protocole est risqué pour elles ?

Elles ne se seraient pas protégées non plus sans le médicament. C’est ce qu’elles font habituellement. Ce qu’on veut montrer, c’est que ce médicament peut jouer un rôle, mais au départ, on va essayer d’être très actifs en terme de prévention auprès de tous les participants, en redisant que la base de la prévention, c’est le préservatif. Ils vont avoir accès à une information renforcée sur la prévention, à une distribution de préservatifs gratuits, à un dépistage et un traitement des infections sexuellement transmissibles (IST), ce qui est important parce qu’accessoirement une IST peut favoriser la transmission du VIH. Ils vont également avoir accès à la vaccination aux hépatites A et B, qui peuvent être des facteurs très importants. Le discours est le suivant : utilisez si c’est possible le préservatif, mais si vous ne l’utilisez pas, prenez ce traitement. Le but de l’essai c’est de voir si on arrive à être efficace et à réduire la transmission. Mais en dehors de cet essai, il s’agit bien de personnes qui continueraient d’avoir la même prise de risque.

 

Il pourrait y avoir un effet pervers, poussant les participants à se dire que, de toutes façons, ils sont protégés par le médicament, et qu’ils n’ont vraiment aucune raison de porter un préservatif.

C’est effectivement un des risques de l’essai, c’est clairement quelque chose qui a été appréhendé. Est-ce qu’il y a un risque de désinhibition ? Une moindre utilisation du préservatif ? Il y a deux réponses pour ça. La première, c’est le groupe placebo qui doit empêcher de se sentir protégé. Tous les patients savent qu’ils ont une chance sur deux d’avoir un placébo et donc de ne pas être protégé. Deuxième réponse : ce risque a déjà été vu dans des études antérieures de traitement de pré-exposition, on a plutôt observé une augmentation de l’utilisation du préservatif au cours de l’étude. On est plutôt rassurés sur cette désinhibition.

 

Vous parlez d’une étude novatrice et d’une première avec ce protocole ANRS-Ipergay.

Cela fait quelques temps que le traitement pré-exposition est testé, mais aucune étude de grande ampleur n’a été réalisée dans des pays industrialisés. C’est une première, pour l’Agence nationale de recherches sur le sida et les hépatites virales(ANRS). C’est important car le rationnel virologique est très fort, il permet de dire que ça peut marcher : sur l’animal ça marche ; sur la femme enceinte, ça marche, quand elle utilise la trithérapie, elle ne transmet pas le virus à son enfant. Autre élément important, le comportement des gens : une fois entrés dans l’étude, vont-ils accepter d’y rester (pendant deux ans), d’être suivis, et vont-ils accepter de prendre correctement le traitement ? Le fait d’être dans un autre contexte psychosocial que ceux qui ont déjà été testés, en Amérique du Sud, en Afrique, en Asie, est important.

 

Quelle peut être la finalité d’une telle étude ?

Le but de l’étude c’est de montrer qu’un traitement pris avant des rapports sexuels non protégés peut contribuer à diminuer la transmission du VIH sur une population bien spécifique. A terme, on peut imaginer que ce type d’approche peut être conseillée dans certaines circonstances, ça ne veut pas dire qu’il faut remplacer le préservatif par le traitement, au contraire, ce n’est pas du tout le but! Le message, encore une fois, c’est que le pilier de la prévention reste le préservatif. Mais si vous n’arrivez pas à l’utiliser, vous pouvez faire quelque chose en plus. On ne parle pas de tout le monde, et pas forcément non plus en permanence. Tout le monde ne va pas avoir le même comportement durant toute sa vie sexuelle.

 

Déjà des participants?

Nous sommes en phase de démarrage, les premiers rendez-vous seront pris pour le début du mois de février. Et lundi 9 janvier, on avait déjà une quinzaine de personnes intéressées. On espère qu’il y en aura encore plus qui arrivent.

 

Vous n’avez pas encore mené les entretiens avec les personnes qui voudraient participer à l’étude, mais savez-vous ce qui peut les inciter à s’engager dans ce processus ?

Oui on le sait déjà un peu car il y a eu beaucoup de discussions dans le milieu associatif, qui a été très impliqué dans la genèse de l’étude. Il y a des gens qui n’arrivent pas à utiliser le préservatif en permanence, et qui en même temps, ne se sentent pas concernés par le fait d’attraper le VIH et par le fait d’être ensuite eux-mêmes contagieux. C’est vraiment un désir de prévention qui les anime.

 

Il y a eu une vaste campagne de lutte contre le sida dans les années 1980, et quasiment plus du tout ensuite. Est-ce que le fait de ne pas parvenir à enrayer l’augmentation de la transmission du virus est aussi liée à ce défaut de communication ?

Oui et non. Je ne suis pas sûr que ce soit un problème de campagne. C’est ce qui est important dans la prévention, c’est que rien n’est acquis. On pourrait avoir exactement le même discours sur la rougeole, une maladie qui avait quasiment disparu en France et qui revient de façon très importante. Une campagne faite à un instant T va toucher un certain nombre de personnes, d’autres personnes arrivent, entrent dans leur vie sexuelle… Il n’y a pas vraiment de règles, la prévention doit être une question sans cesse renouvelée, et réinventée. Encore une fois, le message de base, c’est que le préservatif, ça marche très bien. C’est 100% quand on l’utilise à 100%. On voit bien qu’il ne suffit pas à toutes les situations. Cette étude entre donc dans ce qu’on appelle la prévention combinée, des méthodes qui ne vont pas être toutes utilisées par tout le monde, mais par des gens pour lesquels c’est adapté.

Aller plus loin

Tribune de Gilles Pialoux, chef de service des maladies infectieuses et tropicales à l’hôpital Tenon, rédacteur en chef de VIH.org, et co-investigateur de l’étude Ipergay.


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