Actualités, enquêtes à Lyon et dans la région

Trois élèves

Aline

,

Cet article est en accès libre. Pour soutenir Rue89Lyon, abonnez-vous.



Première classe, Petite Section. Elle est toute petite, un caractère bien trempé, et elle ne peut pas obéir. Elle ne vient jamais s’asseoir avec les autres sur le banc écouter des histoires ou chanter, elle ne reste pas assise pour travailler, elle trempe ses doigts dans la peinture durant quelques secondes, puis laisse tout en plan pour mettre de la peinture partout dans la classe, sur les autres et sur moi… Dans la salle de sport, elle ne suit jamais les parcours que je m’évertue pourtant à rendre lisibles pour des enfants de moins de 3 ans… Elle court dans tous les sens, comme si elle n’entendait pas mes appels de plus en plus forts, ni ceux de l’ATSEM. Dans le vestiaire, à l’heure si difficile de l’habillage, lorsque nous nous retrouvons à deux adultes en hiver, avec 31 petits enfants qui ne savent ni mettre leurs manteaux, leurs pulls, leurs écharpes, leurs gants, leurs chaussures qu’il faut lacer, et qu’il fait 3° dehors, Aline est au pire. Incapable de se concentrer, d’exister, de penser à s’habiller. Au mieux elle regardait Victor, l’autiste de 6 ans, en Petite Section depuis 3 ans, qui se roulait par terre parce qu’il ne voulait jamais mettre ses chaussures, et l’AVS non formée, tout droit sortie de l’ANPE, se demandant ce qu’elle faisait là, tout comme Aline en fait… A chaque fois, ou presque, nous vivions le même cinéma…
Alors très vite ce fut la valse des cris, des menaces, des punitions qui tombaient et qu’elle ne comprenait pas. Elle pleurait, fort, beaucoup, et rien n’y faisait. je l’excluais du groupe, je la forçais à mettre ses chaussures au plus vite, parfois je la laissais, dépité, courir dans tous les sens…. Que faire….
Je n’étais pas titulaire, je n’étais dans cette classe qu’un jour par semaine,  mais je voyais bien qu’elle souffrait, qu’elle était au plus mal, mais je me sentais bien incapable de l’aider, au mieux de la calmer un peu, parfois…. L’autre maîtresse l’avait prise en grippe, et nous la laissions s’enfermer dans des mimiques ; elle s’isolait, et petit à petit elle perdait pied et ne mettait pas de sens sur sa présence à l’école.
Un jour, au lieu de  lui crier dessus et de la punir, je lui ai parlé doucement, avec patience en lui mettant ses chaussures… Elle est venue, elle m’a fait un câlin, et est allée s’asseoir sur le banc tranquillement… J’ai compris la violence de l’école pour un petit enfant de 3 ans, l’incompatibilité de certains au rythme de la vie collective, et que parfois, simplement, l’autorité n’était pas qu’une question de grosse voix.

Iliès
Moyenne Section. Il se roule par terre. Il est 11h30, tous les autres élèves viennent de partir manger ,  soit à la cantine, soit avec les parents ou nounous. Il se roule par terre dans les centaines de petites pièces de ce jeux qu’il a fait tomber une dizaine de minutes avant le moment de ranger. La menace est tombée : tu ne sortiras pas de la classe tant que tu n’auras pas rangé. Il teste. Il tente, comme toujours, pour voir si ça va marcher, si moi ou l’ATSEM va abandonner, comme sûrement sa mère chez lui…. Mais non. On est là à la regarder à attendre, et il se roule par terre, pousse des cris, nous regarde, essaye la pitié, la colère ou le coup du petit enfant mignon avec des gros yeux. Pas de chance, ça ne marche pas. Il n’arrive pas à croire que si, qu’il n’a pas le choix et qu’il va ranger.
Il a rangé finalement et rejoint les autres à la cantine. Il ne supportait pas le rappel à l’ordre et ne comprenait pas pourquoi il était puni. Un jour, alors que durant une récréation, alors que je l’avais isolé dans la classe des petits ou une autre maîtresse travaillait avec un petit groupe d’élèves, il s’est griffé le visage jusqu’au sang, de colère. Colère contre lui-même, contre l’école, contre le monde. Les seuls moments où il trouvait le calme était lorsqu’avec un livre, il regardait les images et parlait, tout seul, de manière incompréhensible. Perdu dans son monde, Ilies se coupait des autres, qui déjà à 5 ans l’avaient un peu isolé, comme on isole la différence. Que faire, que penser quand son métier est de cadrer et d’être l’ordre violent qui normalise le groupe ?

Armelle
Elle venait de Mayotte, et je l’aidais à raccrocher dans son CE2. Arrivée depuis 1 ans, elle vivait chez un “Oncle”et une “Tante”. Elle ne semblait jamais bien raccrocher à la réalité. Elle pouvait me demander si le Monsieur au fond de la salle était mon papa (en fait l’inspecteur qui avait une barbe blanche) puis partir effrayée d’un serpent en peluche qui traînait dans la classe. Je n’ai jamais bien su dans quelle réalité elle vivait, ni ce qui s’était réellement passé à Mayotte. Elle était souvent plongée dans une grande tristesse qui faisait souvent couler des larmes. Elle chantonnait tout le  temps et surtout quand il ne le fallait pas. Elle partait dans des éclats de rire au moindre incident. Elle était très attachée à sa maîtresse et se demandait tout le temps comment on faisait les bébés. Elle voulait toujours connaître tous les membres de la familles des adultes qu’elle rencontrait à ‘l’École. Elle voyait des monstres et des loups par la fenêtre la nuit, du haut de l’immeuble, et j’avais beau lui dire que les monstres étaient surtout dans les livres et qu’en banlieue lyonnaise , ça faisait longtemps qu’on avait pas vu de loups, elle n’en démordait pas. Elle parlait tout doucement, sautait d’un sujet à l’autre, et était très difficile à suivre…. Un jour en salissant avec un feutre son pull, elle a eu très peur du “bâton” de sa tante… Le soir même, la veille des vacances, elle était effrayée de rentrer chez elle, en larmes et s’en voulait beaucoup de son aveux.
Dans ces moments là, même après avoir appelé l’assistante sociale, on se sent vraiment impuissant.


Autres mots-clés :

Aucun mot-clé à afficher

Plus d'options